In vino veritas

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Sabre Maizieres

Il n’avait aucune idée préconçue de ce qu’il cherchait ce matin. Un jour de liberté sur son planning lui ouvrait des horizons nouveaux.

La saison, la fin de l’été, une nouvelle cave chez lui, et les vendanges qui s’annonçaient précoces en cette année de canicule, lui avaient boosté une pensée épicurienne dans la tête :

—Et si je cherchais quelques nouveaux crus pour enrichir ma bibliothèque de vins ?!?

Il aimait lire un vin, et boire un livre. Siroter un roman et déguster un bon verre au fond de son canapé. Ses amis lui reconnaissaient ce talent, ses bouteilles étaient des best-sellers…

Sur sa nouvelle moto, il navigua vers le sud de la Bourgogne, vers ces vins blancs fleuris et charpentés qui font honneur à une viande blanche, surtout si, elle-même, vient de Bresse. Et c’est vers Viré Clessé qu’il sortit sa béquille et enleva son casque. Le chai était silencieux et désert. Un « hello » fit renaitre la vie, et la patronne vint l’accueillir.

— J’ai cru que c’était mon fils, il doit rentrer des vignes d’un moment à l’autre…

—Bonjour Madame… Vous avez quelques perles à déguster ?

Et, d’un pas curieux il entra entre les cuves dans une fraîcheur presque surnaturelle, tant la canicule faisait déjà rage de bon matin.

Un côteau, un plateau, au bas du cimetière, il se promena de verre en verre sur les traces des ceps du domaine.

—Celui-ci est plus minéral. Celui-là, contre le bois a des arômes de fougères…

Il peinait à recracher, mais sa moto lui conseillait une conduite irréprochable. C’est au moment où son choix était fait, sa commande établie, et son adresse de livraison donnée, que le fils arriva.

— Mon fils… Monsieur nous commande trois cartons, tu peux lui livrer demain ?

— Sans soucis, puis se tournant vers ce client… Vous aimez les vins d’avenir ?

— Cela dépend de leur avenir…

— Je vais vous faire goûter mon nouveau bébé. Il est né l’an dernier. Une terre où j’ai essarté le taillis pour mettre une nouvelle vigne, et ma première récolte date de la saison dernière. Vous verrez, le vin est encore sauvage, plein d’élan d’adolescence, d’envie, mais je le sens prometteur. Dites-moi ce que vous en pensez…

Et le fils déboucha une bouteille où le vin blanc était encore un peu flou, à la robe beige ambré.

Le visiteur prit son verre, le leva vers un spot du chai, en chercha les reflets, la transparence. Il tourna le verre, fit danser le breuvage, s’arrêta sur les gouttes qui suaient sur les parois…

— Il est jeune, il accroche encore…

— C’est une parcelle que deux anciens cultivateurs avaient abandonnée depuis des années. Tout était parti en taillis de bois verts, les ceps se sont étouffés. Les paysans en tiraient quelques bouteilles de soif pour leur usage alcoolique personnel. Rien de folichon…

— Et vous ?

— J’ai racheté ce terrain à l’abandon de son dernier maître, comme on dit, comme une bête délaissée. J’ai taillé, affouillée la terre, arraché les vieux ceps comme on extirpe de vieilles habitudes méprisantes… J’ai cherché un cépage que j’apprécie de partager. La parcelle n’est pas grande, juste assez pour en recevoir son dû selon l’intérêt qu’on lui porte. Et ma première récolte l’an dernier… Vous en pensez quoi ?

Le motard porta la coupe à ses lèvres en fermant les yeux. Il appréciait déguster ainsi, les paupières closes pour se laisser envahir par les images que son palais lui suggérait…

— Il est vert… Car il voyait encore les ramées qui avaient peuplé cette frange de terre triste… Il a du répondant, comme une sorte « d’agacité »… Il semble charpenté, volontaire, à vouloir ne pas se laisser faire en bouche.

— Merci Monsieur.

— Très jeune, sans formation, il lui faut une main sur ses grappes. Vous avez encore du travail, il me semble, mais on le sent prometteur. Vous allez le mêler ?

— Non ! Non ! Le cépage doit rester intact à mon goût.

— Vous n’avez pas tort. Le filtrer, le décanter pour le laisser libre de s’exprimer. Mais ne le laissez pas trop dériver vers l’impertinence. Je pense qu’il peut avoir une forte tendance à taquiner la langue.

— Vous avez raison. Je vais le mettre au bois (en fût) pour le brider et guider sa progression, mais je suis sûr qu’il peut devenir de bonne garde.

— Vous lui avez donné un nom ?

— « Sous brides ». Car la parcelle est située juste sous le maréchal-ferrant qui travaille le cuir et les chevaux.

— « Sous brides », c’est évocateur d’une nature un peu sauvage. Vous lui avez donné ce qualificatif tout à l’heure. C’est vrai qu’il a ce côté impétueux d’une pouliche indocile.

— Vous me faites plaisir Monsieur. Revenez l’an prochain, je me ferai un vrai honneur à le partager avec vous.

— Pourquoi pas… Merci pour la découverte. Je compte sur vous pour la livraison…

— Sans soucis. Bonne journée…

Et la Harley démarra sans assourdir ces futs qui voyageaient tranquilles dans le temps… Si les hommes couraient après un destin funeste, les vins attendraient le meilleur moment pour en adoucir leurs repas, leurs moments d’amitiés… Le partage de l’ambroisie olympienne.

Le visiteur continua son périple vers les terres bourguignonnes, alla même jusqu’à Vosnes-Romanée où Dionysos avait assurément une résidence secondaire. D’autres nectars coulèrent dans son palais, mais il n’oublia pas ce petit vin, un peu sauvage, un peu câlin du matin…

Quand il rentra chez lui, il se dit que la vie était belle. Elle avait cet équilibre entre la dureté, l’injustice, la cruauté et… ces moments de découvertes, d’abandons, de plaisirs… Il avait hâte de les partager.

Il se sentait bien.

Quelle belle journée que ce jour !

image page histoires, carnet ouvert avec un stylo
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