Chapitre 1.
—Dans une semaine, il n’y paraîtra plus. Peigne-toi, et habille-toi, tes affaires sont dans le dressing, n’enfile pas de culotte, cela t’irriterait, et va au salon.
Elle était redevenue Marie, la bonne, et devait servir ces messieurs, après qu’ils s’étaient servis d’elle. Elle se nippa d’un tour de main. Elle ne put mettre son soutien-gorge, ses épaules la cuisaient.
Monsieur se vêtit et alla rejoindre les Déis…
—Dom, tu as été magnifique, tu ne nous avais pas menti, cette petite est sublime…
Marie évoluait entre eux, desservait un verre, en servait un autre, les bouteilles de champagne millésimées défilaient dans les mains de Georges.
Georges n’avait adressé aucun regard à la soubrette. Ni mépris, ni condescendance, ni respect, il l’ignorait tout simplement…
—C’est Georges qui me l’a trouvée, et j’avoue que cette fois, il a eu un très bon nez…
—Georges ? Si vous en repérez une autre, pensez à moi ! ? !
—Monsieur Balthazar, sans vouloir vous porter ombrage, je ne sers qu’un seul maître…
—Nous le savons tous, Georges, et nous ne vous ferons pas l’affront de vous proposer un pont d’or pour en changer… Quoique votre prix sera le mien…
Les sept amis éclatèrent de rire. Georges remercia pour l’offre, il n’avait pas besoin de la décliner.
Marie était devenue transparente, invisible, oubliée. La politesse de ces messieurs à son égard lorsqu’elle était nue avait disparu. Simplement, elle était revenue dans son monde de servitude professionnelle… Elle regrettait presque l’intérêt qu’elle avait suscité, son rang illusoire et provisoire de Reine de Saba. Elle était esclave et pourtant, ils avaient été tous là à lui baiser la main, après, certes, lui avoir baisé le cul et… tout le reste, mais, elle n’avait jamais eu de baisemain avant… Comme une princesse. Maharani d’une heure, ou deux… D’un jour… D’une nuit… Elle aurait voulu aussi l’être pour les mille suivantes…
Nue, elle avait semblé exister plus que jamais. Sans artifice, sans vêtements, sans rien. Nue, elle avait… été !
Un bel « été » ! Chaud…
Seul Monsieur lui faisait signe de se tenir à côté de lui lorsque son service lui laissait quelques instants de répit. Alors sa paume se glissait sous sa jupe et se posait sur sa fesse encore tiède.
Elle était à sa main.
Devant tout le monde. En effet, nul ne pouvait ignorer le geste.
La soirée se poursuivit en un repas confraternel, où se mêlaient quelques conversations d’affaires survolées, et d’autres, plus énigmatiques, que Marie peinât à suivre. Elle aurait voulu ne pas les entendre, sa discrétion de bonne était acquise à son employeur. Mais comment ne pas écouter ? Il y était question d’ancillae, de magister… Marie pensait à la production d’un spectacle médiéval…
À la fin du service, Domitien rejoignit Marie dans sa petite chambre pour lui oindre le dos d’une crème apaisante. Il prit plaisir à l’appliquer jusqu’à l’intérieur des fesses et des cuisses qu’elle écartât elle-même de ses mains.
—Dors sur le ventre, le drap risque d’être à peine supportable, je vais monter ton radiateur…
—Merci, Monsieur, mais je n’ai pas froid, il fait bon dehors. Cela me fait déjà du bien. Je souhaitais vous dire…
—Endors-toi, on parlera demain, si je suis là…
—Je voulais juste vous dire que je suis désolée d’avoir crié, et de vous avoir blessé.
—Il est parfois des temps où j’espère que tu désobéisses, et si tu as toujours l’intelligence de le faire au bon moment, tu ne me décevras pas. Tu es au début d’une route, et je te sais capable de l’arpenter. Bonne nuit.
—Bonne nuit, Monsieur.
—Demain, tu travailles.
—Bien sûr, Monsieur.
Le lendemain, Marie fut appelée au salon pour discuter avec Monsieur. Elle s’attendait à ce qu’il lui demandât ce qu’elle avait pensé de son après-midi de la veille, ou si son dos lui faisait moins mal.
Non, il était son patron, et c’est d’une voix neutre qu’il l’informa de son nouveau statut.
—Tu as acquis, depuis hier, un grade supplémentaire. Tu es devenue une Ancillae, mon ancillae.
Elle ne s’avisa même pas de poser la question sur ce qu’était une ancillae…
—En plus d’être à mon service dans cette maison, et de signer ton CDI… Tu es mon esclave sexuelle, une servante pleine et entière, tu l’auras compris. Tu es intelligente et c’est la première qualité que je t’accorde, la deuxième étant ta beauté. Tu ne t’appartiens plus, tu m’appartiens. Ton corps est à moi. Dorénavant, tu me suivras sans poser aucune question dans certaines de mes activités. Où que j’aille. Tu connaîtras des gens que “tu ne reconnaîtras jamais”, même si tu les vois plusieurs fois, ou quand bien même si… Tu les connais… Tu m’obéiras pour quelque ordre que ce soit. Tu seras un chef-d’œuvre de discrétion. Tu écouteras tout sans rien entendre. Tu ne parleras que si je t’en donne l’autorisation. Tu retiendras certains codes de discipline. Tu m’appartiens… Ne te considère pas comme une prostituée, tu leur es cent mille fois supérieure, car tu ne seras jamais payée pour cela, et tu en éprouveras du plaisir…
Tout cela… Si tu le décides aujourd’hui !…
Tu apprendras les arcanes du pouvoir au travers de ta servitude. Tu ne me trahiras jamais, car si tu acceptes de me donner ta vie, j’en disposerai. Je deviendrai ton Maître, mais aussi ton mentor. Je veillerai à ta santé, seuls mes sept amis te prendront sans protection…
Ta récompense ? Ton salaire qui augmente de mille euros par mois à partir d’aujourd’hui. Le paiement de l’intégralité de tous tes frais personnels. Et tu auras un tatouage en forme d’une pièce ancienne où figureront quatre lettres autour d’un symbole en croix celtique : MVDZ.
Cette marque, tu es seulement la deuxième à qui je décide de l’apposer.
—Puis-je poser des questions à Monsieur ?
—Je verrai si je réponds…
—Qui est l’autre personne ?
—Tu n’as pas besoin de le savoir. Autre demande ?
—Que veulent dire ces quatre lettres ?
—Mes amis et moi-même avons formé une forme d’entraide, comme un club, qui s’appelle les “Magister Voluptatis”, les Maîtres de la Volupté, ou du plaisir si tu préfères… C’est un peu une fraternité, une sorte de Lion’s Club ou les francs-maçons. Tu vois ? Ce sont le M. et le V. Le D. et le Z. sont mes initiales…
—Sur mon contrat de travail, il n’est mentionné qu’une société comme employeur… Puis-je demander à Monsieur quel est son prénom ?
—Mes proches m’appellent Dom… Pour Domitien… Mais seuls mes intimes me nomment ainsi et j’ai très peu d’amis.
—L’empreinte sera permanente ?
—Oui, bien sûr, mais cela s’enlève au laser, et si un jour tu reviens en arrière, je paierai cette opération. Mais tu ne reculeras pas.
—Je le supposais, Monsieur. Où sera situé mon tatouage ? Elle avait dit « mon », elle était déjà d’accord…
—Sur ta nuque à la base de tes cheveux, et il sera discret…
—Cela fait-il mal ?
—Ta question est idiote ! Elle regretta de l’avoir posée, elle sut immédiatement qu’elle était inutile.
La douleur ne pouvait être qu’accessoire, voire enrichissante.
—Puis-je prendre cette marque comme un cadeau personnel de Monsieur, cela m’aidera à l’accepter ?
—Oui, et même… Pour bons et loyaux services… Il se mit à sourire : je connais ta valeur, toi tu l’ignores…
—Alors j’approuve, si Monsieur m’en estime méritante. J’accompagnerai Monsieur, je lui obéirai, car je sais que je suis libre de le faire.
—Une route s’ouvre. Sois-en digne. Continue d’apprendre. Observe en silence, questionne-moi le moins possible et uniquement lorsque nous serons seuls.
—Bien, Monsieur.
Marie fut « marquée » le jour même. Un tatoueur vint à la villa et officia devant Monsieur. Marie gémit un peu, mais trouva l’épreuve supportable.
Personne ne l’interrogea sur la présence d’un pansement qu’elle dissimulait sous ses cheveux.
En quelques mois, son parcours professionnel avait pris des options auxquelles elle n’était pas préparée, mais ses réflexions du soir, une fois couchée à plat ventre… Son dos lui fit rapidement moins souffrir, mais la nuque devait cicatriser… Ses pensées l’emmenèrent loin. Le dire à Mado, mais comment…
Et n’était-ce pas déjà une trahison ?
Les jours qui suivirent furent calmes. Monsieur fit quelques allers-retours en Orient pour finaliser les lots d’un désert urbanisé. Il n’appela Marie qu’une seule fois pour l’accompagner à une représentation musicale à l’Auditorium. Elle ne prononça aucun mot de la soirée. Il ne lui demanda même pas si le spectacle lui avait plu… Elle n’avait pas trop apprécié le concert, elle reconnut des passages de Mahler où la douleur des coups de fouet se réveilla dans son esprit. Elle en ferma les yeux, et contracta son rectum pour en ressentir la présence manquante d’un doigt qui n’était pas là.
Lors d’une absence plus longue… Avant de partir… Elle demanda :
—Monsieur ?
—Oui, Marie.
—Si je dois vous accompagner, qui fera le ménage ici ?
—Georges est déjà en train de recruter une nouvelle bonne. Les premiers temps, elle sera sous ta responsabilité, c’est toi qui la formeras…
—Au service de Monsieur ? Ou pour la maison ?…
—Question stupide, tu connais la réponse. Garde ton rang, ton obéissance est le gage de mon intérêt pour toi.
—Monsieur, si j’osais…
—Ose !
—Puis-je la recruter moi-même ?
—Je pense que Georges y perdrait en prérogatives.
—Monsieur a raison, puis-je cependant tenter quelque chose…
—Toi, tu as une idée derrière la tête, je t’ai accordé ma confiance, alors agis ! Mais tu n’as aucun droit à l’erreur. Fais attention, Georges est dangereux.
—Je remercie Monsieur de sa confiance et de me prévenir.
Il partit.
Marie s’enquit auprès du majordome de l’avancement de ses recherches. Il n’en était qu’à la réception des CV, il n’y avait pas de perle rare pour l’instant. Le patron lui avait donné carte blanche, comme d’habitude, et trois mois. C’est ainsi qu’elle apprit que son Maître avait programmé le prochain semestre, la moitié pour trouver une nouvelle bonne, et le reste pour que Marie la forme.
—Vous comprenez Marie, Monsieur me confie la sélection d’un nouvel habitant pour sa maison. Il compte sur moi pour sa sécurité. En revanche, maintenant, il semblerait que vous soyez capable de transmettre ce que je vous ai enseigné à la suivante.
Marie perçut presque de la reconnaissance dans la voix de Georges, du moins une forme de respect. Tout en lui rappelant que c’était lui qui l’avait formée !…
— Dans plusieurs mois, vous nous quitterez, Marie, (elle ne tiqua pas sur l’information que Georges venait de lâcher) et je suis fière de vous, il ne vous manquera qu’une seule qualité finalement…
—Celle de me mettre à genoux devant vous, les mains dans le dos ?
Georges marqua la surprise…
—Comment savez-vous que…
—Je suis devenue capable de beaucoup de choses, Georges, et certaines, grâce à vous. Je ne puis plus être votre élève, mais soyons partenaires pour le bien de Monsieur.
—Franchement, Marie, Monsieur a raison… Avec vous, j’ai eu un bon nez !
Aussitôt, il la considéra autrement…
—Écoutez Marie, il est vrai que vous avez changé. Je demanderai au retour de Monsieur si je peux vous former…
—À quoi, Georges ?
—Laissez-moi parler ! Je solliciterai Monsieur pour me permettre de vous enseigner quelques réflexes de défense, vu qu’il vous arrivera parfois d’être plus près de Monsieur que moi, dans quelques situations qui pourraient être… périlleuses.
—Dangereuses ?
—Vous savez très bien que Monsieur voyage souvent, et que quelquefois, je l’accompagne. Ce n’est pas pour lui traîner sa valise… Même si je la lui porte… Mais en certains pays, une protection n’est jamais à dédaigner. Et si vous êtes avec lui, tel que je le pense dans quelques mois, je préférerais vous estimer capable de certaines choses plutôt que de vous considérer, que, comme un sac de sable, juste bon à se planquer derrière.
Elle aussi, évalua Georges autrement à partir de cet instant.
—M’accepteriez-vous comme cosélectionneur lors du casting ?
—Pourquoi pas, mais vous ne ferez que me donner vos impressions, je les interrogerai et je conduirai l’entretien.
—Une seule question… À la fin…
—Vous devenez négociatrice, Marie. Quelle question ?
—Je ne sais pas encore, mais une seule…
—Nous verrons…
Quelle demande avait en tête Marie et quelles étaient ses intentions ?