En projet, un souvenir d’enfant…

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Sabre Maizieres

Les Nips : Été 1969. Un gamin de 10 ans part en vacances à la campagne. Une campagne qu’il connaît tous les ans depuis son enfance… Avec ses grands-parents… Pourtant cette année ne sera pas une année comme les autres… Comment gérer cette réalité qu’il ne peut imaginer : des hommes vont marcher sur la Lune… Et des Êtres imaginaires qui peuplent la forêt de sa cabane et qu’il faudra combattre « pour de vrai »..
Mais il n’est pas seul…

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Chapitre 1 –
Pompon, je vais t’avoir !

Tout commençait chez la grand-mère… Moi, je l’appelais Mémé, les « grands » à Lyon l’appelait Marie-Louise, et au Paradis, c’était « la Marie »…
Si moi, du haut de mes dix ans, j’étais content, le chat l’était moins. Pompidou qu’il s’appelait. Patronyme car adopté sous la présidence de Georges Pompidou1, nom, à l’usage, jugé trop long, cela se transforma en Pompon. Et bien le Pompon, quand il voyait sa maîtresse faire ses valises… Et quelles valises, je vous en parlerai plus tard… Le Pompon n’avait pas assez de recoins dans ce petit appartement, d’un quartier ouvrier lyonnais, pour s’y terrer. Et c’est qu’il griffait cette sale bête, surtout si vous aviez le culot de tenter de le déloger.
Le territoire n’était pas vaste. Un tout petit couloir en guise d’entrée, qui donnait sur une cuisine avec une seule fenêtre. Comme beaucoup d’appartements lyonnais, contre le couloir, une alcôve. Petite pièce où un lit pouvait à peine se loger, et pas un gros…
De la cuisine, l’on passait dans une salle à manger, avec elle aussi, une seule fenêtre, et bien sûr, une autre alcôve, au fond, un peu plus large, où trônait un lit en faux bois ciré… Oh ! Faut pas charrier, y’avait pas énormément de place, à peine la largeur pour passer de chaque côté du lit, pour se coucher, ou faire le lit.
Pauvre chat ! Il avait quoi comme solutions de repli. Les étagères au fond de l’alcôve au grand lit. Une ou deux piles de draps en guise de murailles, un rideau en taffetas bordeaux en première ligne de défense… Et ses griffes pour tenter de sauver sa peau en dernières limites.
Que redoutait-il ? A part la grand-mère… C’est vrai qu’elle n’était pas commode ! Ancienne « première ouvrière de France » en Broderie, retraitée promue garde d’enfant unique. Oui ! Seulement moi, son petit fils, une sorte de teigne qui manquait d’amour parce « qu’il n’était pas son frère », un frère mort avant ma naissance, espèce d’enfant qui jouait « remplaçant » dans cette famille… On l’aimait mal… Ça aussi, on en reparlera plus tard…
Il y avait un pépé aussi… Un petit bonhomme tout sec qui m’appelait « Bijou ». J’aimais bien. Je n’en comprenais pas le sens étymologique, mais dans sa bouche c’était tendre, gentil. Je n’étais pas son petit fils, car il était le troisième mari de Mémé, les deux précédents étaient morts. Le premier noyé par hydrocution dans l’enfance de ma mère. Le deuxième, parce qu’il était malade, me disait-on… Je crois que Mémé ne travaillait plus ou presque plus… Pépé travaillait… Nous y reviendrons.
Donc, quand mes parents voulaient un peu de tranquillité… Allez ! Zou… Chez la grand-mère, « Mémé » que je l’appelais… Mais revenons au Pompon. J’aimais bien le chasser. Je me voyais Tartarin sur la piste d’un lion ou d’une panthère… En guise de fauve, un gros chat castré noir et blanc qui ne rêvait que d’une chose « qu’on lui foute la paix pour faire sa sieste quotidienne de vingt heures »…
Son cauchemar ? Que je sois sur le même territoire que lui !
Mon jeu préféré ? Le débusquer, l’approcher et le faire souffler… Sale bête, va !
Mais là, ce n’est pas moi qui le terrorisait, mais bien Mémé… Mémé et son panier en osier… Cette cage de voyage où il savait qu’il serait emprisonné des heures durant. Et oui, le Pompon allait faire partie des bagages de cette grande aventure annuelle : le Départ des Vacances.
Et je redoutais, comme le chat, le voyage…
Sans rire, à la fin des années soixante, parcourir trois cent kilomètres, quelque soit le moyen de transport, vous ne pouvez imaginer, gens du XXIème siècle, l’épopée que c’était…
Prenons le cas du voyage en voiture : Une famille, un père qui conduit, une mère en passagère, une grand-mère, un fils et une panière remplie d’un chat se partageant la banquette arrière… d’une 4L. Perdez 5 minutes à chercher sur internet ce qu’était une 4L… Sans oublier le coffre plein à craquer des bagages de la mémé qui partait pour plusieurs mois… Et la galerie…
En guise d’autoradio, le poste transistor qui, d’habitude, était posé sur le frigo de la cuisine. Quoi ? Pas possible ?!? Et ben si ! Mon père avait fixé une antenne contre le montant droit du pare-brise. Antenne qui se reliait avec une grosse fiche sur le côté du transistor. Devant, un gros bouton transparent pour chercher la longueur des Grandes Ondes audibles. Occupation favorite de ma mère qui passait son temps à éviter les crachouillis.
Ah oui… J’oubliais de vous planter le décor des vacances…
Donc flou artistique, recul de la caméra, le point de vue s’envole et des collines se dessinent au loin. La Franche-Comté… Région où la Seine prend sa source… Peu de grandes villes, Chaumont, Vesoul, Épinal, et Langres.
Toutes encore plus petites alors, que maintenant…
La Nationale 7, légendaire aujourd’hui, mais seul axe de l’époque se remplissait au début des beaux jours de 203, de 404, de coccinelles, de 4 et de 2 chevaux… Toutes pleines de vacanciers qui partaient au nord, au sud… En tous sens… Pas de Bison Futé…
Mâcon, Châlon, Dijon… Au bout de la ligne droite…
Langres, où d’ailleurs la grand-mère avait rencontré son fiancé vers les casernes. Premier mari, ouvrier chaudronnier lyonnais, alors au régiment, et qui ramena de sa conscription une fille de là-bas, pour en faire une lyonnaise de Vaise…
La caméra se rapproche… Les petits bourgs défilent… Pour zoomer sur un petit village perché sur une colline. Une montée. Une descente. Cela dépendait de quel côté de la colline vous étiez, et si vous étiez en haut ou en bas, bien sûr… Et ça fait une grosse différence, surtout en vélo… Une côte, donc, de chaque côté de la colline, peu de passages, car les voitures d’alors circulaient « en bas » sur la gran’route. Une gare entre deux villages et quand même trois bistrots…
Un coin de France à la Trenet, aux allures de village d’irréductibles gaulois… Des bois autour, une rivière à friture dans la vallée, un monument d’une dizaine de morts. À peine une centaine de vivants et pourtant, impensable de nos jours, plusieurs commerces… Un boucher, une laiterie-fromagerie, un coiffeur (mon cauchemar), une épicerie-tabac-boîte-aux-lettres-garage-etc. Et cabine de téléphone, le seul du patelin. Un menuisier, plusieurs maçons, un forgeron, un plombier, un cordonnier… Des ruelles pleines de tracteurs, et même un distillateur de gnôle en cuivre caché dans une petite maison en briques… Deux « croix », vers chaque descente, on disait ainsi pour nommer les deux calvaires. Une petite église avec son cimetière autour, plein de ronces sur les tombes des morts sans familles, des tas de… tas de fumiers, devant presque chaque maison… Le paradis d’un enfant de la ville, en vacances…
Voici l’horizon qui se dessinait pour moi… et le chat… Il aurait pu aussi y penser à cette liberté, cette charogne de chat. Là, il serait plus difficile à chasser avec les prés et les bois, mais non, car habitué à ses vingt heures de sieste, si Tartarin prenait la fantaisie de le traquer et décidait de « tuer » le lion, les « chasses » étaient encore possibles… Tuer consistait à le retenir quelques instants en le chopant par la queue, et éviter au moins trois secondes ses coups de griffes. A dix ans, on se fait les rodéos qu’on peut.
Mais avant d’accéder au paradis, il fallait passer par le purgatoire du « voyage »…
Je vous ai peu parlé du « pépé ». Le brave homme. Un simple ouvrier en usine, tourneur sur métaux, qui travaillait, ce n’est pas une blague, rue de la Métallurgie. Lui, sauvé par son emploi, ne venait pas en vacances en même temps, car si la grand-mère, à la retraite, émigrait plusieurs mois, lui, ne venaient que quelques semaines et donc se faisait sa propre épopée en train… Tranquille…
Bon… Vous avez trouvé la 4L sur internet ? Rajoutez lui une galerie pour le surcroît de bagages, et vous obtenez une image à la Dubout. C’était nous…
Trois cent kilomètres de nationales d’alors, nous sommes à la fin des années soixante, je vous le rappelle. Pas d’autoroutes, de ronds-points, ou d’aires de repos… C’était au minimum entre quatre et six heures de voyage, selon le nombre d’arrêts : pipis, pique-niques, « maman-j’vais-vomir », ou bien « zut-trop-tard-le-petit-a-vomi »… Ponctués de miaulements ininterrompus et geignards d’un chat « en-osièrisé », rapport à sa prison d’osier, d’autant de « Pompon-tais-toi » murmurés par Mémé qui tapotait la panière, et de « laissez-le-maman-ça-m’gène-pas » proposés par mon père conciliant, car nous savions tous que les « Pompon-tais-toi » et les tapotements étaient beaucoup plus lassants que les miaulements au fil de la route.
Sans autoradio, sans GPS, une glacière avec les victuailles du pique-nique à mi-chemin, et un papa qui nous apprenait « Janeton, prends sa faucille et s’en va couper les joncs… », ou « La-haut sur la montagne… », pendant que maman tenait une bonne vieille carte Michelin pour trouver une éventuelle nouvelle route qui n’existait pas l’année précédente….
Et oui ! Je ne vous avais pas dit que cette aventure avait lieu tous les ans, puisque ma grand-mère disposait d’une petite maison froide et humide, héritée de sa mère. Maison dans laquelle je passais quasiment toutes mes vacances scolaires, sauf en saison froide. Car là-bas, même au plus fort de l’été, la cuisinière « feu-continu » réchauffait les murs frileux.
Nous en étions au voyage en voiture. Inutile de vous dire que l’arrivée était appréciée de tous. Je ne participais pas au déchargement puisqu’à peine la grange ouverte, je sautais sur mon « biclou » pour faire le tour du village et l’appel des copains présents cet été là… Qu’est-ce qu’un biclou ? C’était un vélo dit « de course » customisé d’alors. On enlevait les garde-boues, le porte-bagage, tous les accessoires à part la sonnette, porte-bidon ou autres. On retournait le guidon, cornes en haut, freins à l’arrière du guidon, et indispensable accessoire, une carte à jouer coincée dans la fourche arrière, à l’aide d’une pince à linge, pour transformer notre biclou en mobylette grâce au bruit magique de la carte qui claquait dans les rayons… Allez trouver une merveille pareille chez Décathlon aujourd’hui ! Cela n’existe plus…

Mais cette année là, nous partions, non en voiture, mais en train… La SNCF mettait quasiment quatre heures précises pour aller de Lyon Perrache à la gare du petit village. Avec seulement deux changements, l’un à Dijon, sinon on continuait sur Paris et un autre à Culmont-Chalindrey, où l’on montait dans une micheline, petit tortillard jaune et rouge, omnibus qui serpentait de gare en gare, jusqu’à notre destination…
Une petite gare qui ne portait même pas le nom du village, vu qu’elle desservait plusieurs communes, dont deux un peu plus grosses que la notre , ces deux bourgs usurpait notre petite gare en lui donnant leurs noms.
Pour ma grand-mère le voyage durait une journée entière… Sans compter la confection des valises qui préméditait l’épopée et inquiétait le chat, valises qui se préparaient plusieurs jours avant…
Vous savez le pire ? C’est que Mémé donnait au chat une pilule contre le mal des voyages. Médicament qui, immanquablement rendait le chat malade durant tout le périple. Pauvre bête qui, en plus de geindre, bavait et vomissait… Un vrai bonheur… Les banquettes de la SNCF et de la 4L doivent s’en souvenir… Entre le chat et moi, les  « cartes de France » n’avaient rien d’érotique…
Alors, récapitulons, la mémé partait pour au moins quatre mois, moi pour deux et demi… Et oui les vacances d’été alors duraient jusqu’à la mi-septembre bien tassée. Ajoutez le chat. Ça nous donnait deux grosses valises pour elle, en carton bien sûr, avec la bonne vieille ficelle de paille autour, en sécurité, si les fermetures lâchaient… C’est Mémé qui les portaient. Deux plus petites pour moi, et ne me demandez pas qui portait le chat, je ne m’en souviens plus. Probablement que la poignée en osier située au dessus la cage, en plein milieu, était tenue par la main ferme de mon aïeule, en même temps qu’une valise, ce qui devait occasionner une certaine gîte à la cage et participait activement au mal de mer du félin.
Départ du train à seize heures. Pensez-bien que nous étions, sur le quai de la gare, à quinze. Et qu’on avait mangé à onze… On ne sait jamais ! Mémé avait sa loi : « Si t’es en retard d’une minute, tu loupes le train. Un train, ça n’attend pas ! ». En ce temps là les trains étaient à l’heure, au moins au départ… Mémé, elle, prenait soixante minutes d’avance pour être bien sûr de ne pas le louper. Fallait trouver le bon quai, escalader, avec les valises tous les escaliers. Il n’y avait pas de ces drôles d’escalators qui montaient tout seul…
Et comme d’habitude, dans l’heure qui précédait l’arrivée du train, il y avait au moins, une fois, un changement de quai, sinon, cela n’aurait pas été drôle… Alors moi, petit bonhomme en pantalon court, blazer, coiffé d’une casquette à visière bleutée avec un gros bouton sur le dessus, je reprenais mes valises et suivait cette femme pleine d’énergie à en épuiser plusieurs maris. Pépé était le troisième…
Pas de petits gâteaux pour me faire patienter. Si j’avais faim pendant le voyage, c’était un œuf cuit dur, à la croque-au-sel. Et suprême repas, car on arrivait après vingt heures, un sandwich jambon-beurre enveloppé dans un mouchoir. Si j’étais sage, mémé achetait un « Pschiiit orange » à la préposée qui passait dans les wagons après Dijon.
Attention, le train arrive. Nous étions pourtant loin du quai, mais ces grosses machines, il en existait encore à vapeur, étaient tellement impressionnantes que nous reculions quand même. La montée dans le wagon compartimenté, était du même acabit. Marches trop hautes pour mes petites gambettes, il me fallait plusieurs minutes pour poser les valises et escalader ces escaliers. La grand-mère jetait les siennes dedans avec le chat, et me poussait croyant me faciliter l’escalade. Les autres passagers attendaient, anxieux par la voix sépulcrale qui annonçait « Lyon-Perrache, dooooouuuuuze minutes d’arrêt » et pas une minute de plus…
Bon, c’est notre compartiment, nos banquettes… Que deux places… Et le chat me direz-vous… Et bien si nos valises avaient pu tenir sur les filets, il finissait sur les genoux de mémé. Si par bonheur, le compartiment n’était pas complet… Chance ! Le chat avait une place assise… Je dis « chance », c’était pour les autres passagers qui coupaient aux tapotements moins stressants et aux « chut Pompon ! » permanents.
Mon nez se collait à la vitre pour voir le monsieur avec son grand marteau qui faisait sonner les roues du train.
Dans ma naïveté enfantine, je pensais qu’il redressait les roues tordues par les rails, car ma mémé m’avait expliqué qu’il faisait cela pour qu’on ne déraille pas ! Mon imaginaire avait déjà entendu les clong-clong répétitifs des roues sur les rails quand le train roulait, bruits occasionné par les espaces de dilatations entre les rails en métal.
Chocs multiples qui, dans mon imaginaire, tordaient les roues. Ouf ! Sauvé ! Le monsieur en uniforme les redressait.
Imaginez mon désarroi quand cet emploi fut supprimé des grilles salariales de la SNCF…
Le train s’ébranle… L’été est là. Le chat commence à miauler. Ma grand-mère commence à tapoter. Et le premier voyageur du compartiment sort dans le couloir fumer une cigarette…

C’étaient les vacances qui commençaient !!!
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1 Georges Pompidou : Président Français du 20 juin 1969 au 2 avril 1974

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