Ils ne mourront peut-être pas ce soir…

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Sabre Maizieres

Comme chaque mois, vous pourrez lire et je l’espère, apprécier, une petite histoire de quelques lignes ou de quelques pages écrite au gré de l’humeur de l’auteur. Je vous souhaite de passer un agréable moment…

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Ils ne mourront peut-être pas ce soir…

 

« Général ! Général ! Les ennemis arrivent !

— Tous à vos postes ! On va leur faire bouffer les culottes à leurs vieilles à tous ces connards !
— Chef ! Oui, chef !
— Bon qu’est-ce qui font ? J’vois pas bien !
— Ils nous encerclent…
— Tout autour ?
— Ben, oui Général, c’est le principe d’un encerclement.
— On s’en fout, on a à bouffer. » 

Le général se ramassa sur lui-même. C’était sa dernière bataille. Les Indiens étaient là. Partout. Le fort allait tomber aujourd’hui. Il en était sûr. Ses soldats étaient vaillants, il les connaissait tous. Il répondait d’eux comme de ses enfants. Ils ne l’abandonneront jamais. Ils mourront pour lui. Mais, de toute façon, ils seront tous morts ce soir. Le vent du désert séchera leurs os. Les renforts étaient trop loin, ils n’arriveront pas à temps. D’ailleurs, aucun messager n’était parti les chercher. 

« Général ?!?
— Oui soldat !
— Qu’est-ce qu’on fait Général ?
— On se tient prêt. Ils vont nous attaquer. Nous tenons un poste élevé. Leurs flèches vont nous manquer et nous avons des winchesters.
— Oui Général, mais ils sont deux fois plus que nous ?!
— On en tuera deux fois plus !
— Vous êtes génial, mon Général ! » 

Les soldats se calèrent derrière tous les recoins à leur disposition. Murailles, arbres, même leurs destriers offriraient leurs corps pour les défendre. Les Indiens commençaient leurs danses rituelles. Les tams-tams retentissaient dans la plaine. On s’attendait à voir la fumée des feux s’élever. Pas de feux, cela signifiait que les Indiens ne pensaient pas passer la nuit. Ils voulaient gagner vite. Détruire le fort, et repartir dans leurs collines. Ce matin, ils avaient poursuivi la patrouille qui avait dû son salut à son retour au Fort au prix de tuer les bêtes sous eux.
Le temps d’un repas, et ce fut l’encerclement. Les soldats s’attendaient au pire. Le Chef sioux Gros Bison était un indien cruel. Il paraissait que ses victimes se souvenaient de lui au-delà de la mort. C’est dire ! 

Tout bas : « Général…
— Oui.
— Ils se rassemblent pour l’attaque.
— Tenez-vous prêt à riposter. Ne tirez que quand vous verrez le blanc de leurs yeux. On a n’a pas beaucoup de munitions. Ne les gâchez pas !
— Et vous Général ?
— Moi ? S’ils rentrent dans le Fort, je les éventrerai avec mon sabre. » 

Le général se campa sur le point le plus haut du fort, au pied de la Croix de San Daniel, voulant ainsi montrer qu’il ne craignait pas Gros Bison. Il maîtrisait sa peur. S’il fallait mourir, il mourrait en héros. Le dernier. Debout devant les cadavres de ses soldats qui l’admireront au paradis. Un général de sa trempe ne se rendrait pas. Une fois tous les soldats morts, qui sait… Gros Bison ferait peut-être de lui, un prisonnier de marque. Mais s’il fallait mourir, il mourrait. Il se le répétait. Il ne se rendrait pas. Jamais. Il avait fait West Point. Il était sorti major de sa promotion. C’étaient les guerres indiennes qui lui avaient valu tous ses galons. Lieutenant, Capitaine, et Général. Il avait tué tant d’Indiens qu’il n’en savait même plus le compte. 
Gros Bison réunit ses chefs en conciliabule. Aigle Rouge attaquerait à droite. Élan Fougueux à gauche, mais avant ils tourneraient autour du Fort sur leurs montures sauvages…

« Ôôô Grand Chef Gros Bison…
— Oui Élan Fougueux ?
— Ôôô Grand Chef Gros Bison, qui attaque l’arrière du Fort ?
— Personne Élan Fougueux, il faut leur laisser un chemin de fuite. On n’est pas des sauvages.
— Tu es grand et sage Gros Bison.
— Allez, les Sioux, on danse pour déterrer la hache de guerre.
— Hôôô ! Hôôô ! Hôôô ! » 

La litanie morbide remontait jusqu’au Fort. Le sang des soldats se glaçait. Ils connaissaient leur destin. Aujourd’hui, c’était leur tour de mourir. Tant de soldats étaient déjà morts. Le sort les avait désignés, eux, les soldats du 42e. Ils seraient des héros à leur tour. Ils le savaient, mais ils avaient quand même la peur en eux. Les flèches étaient précises, même si, tirer à cheval était très difficile. Ces Indiens étaient devenus tellement forts au fil des batailles. Supérieurs en nombre, ils étaient invincibles. Les carabines des soldats ne leur donnaient plus l’illusion de leur survie. Quoi qu’en dise le Général, ils venaient de manger leurs dernières denrées, et les munitions étaient au plus bas… 

« Soldats, armez vos fusils ! »

Le Général avait crié, pour que Gros Bison l’entende. Pour que Gros Bison le craigne. Pour que Gros Bison réfléchisse à la vie de ses braves. Pour que Gros Bison ne les tue pas, ou du moins qu’il le fasse lui prisonnier eu égard à son grand courage. 
Gros Bison rigolait. Lui aussi, il se mit à rire très fort pour que le Général l’entende. Pour que le Général sache qu’il ne l’intimidait pas. Pour que le Général sache que les soldats ne lui faisaient pas peur. Il était Gros Bison, grand chef des Sioux. Né par une nuit sans lune, pendant une tempête… Un bison avait surgi du néant pour se coucher à côté de lui, et lui transmettre sa chaleur. Son nom, il le tenait de ce gros bison. 

« Aigle Rouge…
— Oui ô Grand Chef Gros Bison.
— C’est toi qui mèneras l’attaque sur le côté droit. Donc tu chevaucheras devant moi, et Élan Fougueux restera derrière moi.
— Oui ô Grand Chef Gros Bison.
— Quand je dirai “Par le Grand Manitou !” Nous attaquerons de toutes nos forces. Couchez vos chevaux. Abritez-vous derrière et tirez vos flèches contre le Fort. Nous allons tourner plusieurs fois autour du fort pour leur faire perdre leurs munitions et quand j’arriverai devant le Fort, je crierai le signal de l’attaque. 
Les lieutenants de Gros Bison acquiescèrent en même temps. 

« Général, l’attaque est imminente.
— Soyez prêts à mourir en braves, soldats ! »
D’un seul cri : « Oui Général !” 

Les Indiens enfourchèrent leurs destriers, se rangèrent comme Gros Bison l’avait décidé. Ils se mirent à tourner autour du Fort. Les soldats suivaient chacun d’entre eux, cherchant le blanc des yeux qui serrait le signal de la pétarade. Les fusils tremblaient dans leurs mains. On vise mal quand on a peur. 
D’un seul coup, Gros Bison ralentit sa monture et cria “Par le Grand Manitou”. C’était le signal, les Indiens couchèrent leurs montures et entamèrent la pluie de flèches sur le Fort. Les carabines commencèrent leur feu nourri… 
 

À ce moment-là une voix de stentor surgit non loin du Fort :
« Oh, les enfants, vous venez goûter ? »
Les trois Indiens et les deux soldats se relevèrent d’un même bond et : « Oui, Tata ! 
— Gros Bison, ça fait deux fois qu’on tire les soldats à la courte paille. Demain c’est nous qu’on fait les Indiens, j’en ai marre de mourir !
— Hé dis, Général, c’est pas ma faute, c’est la paille qu’a dit !

— Hé ho ! Les vélos, c’est moi qui les ramasse autour du calvaire ?
— Non Tata, on les rangera après goûter ! » 
 

Chouette ! Y’a eu un arrivage de pains au chocolat au Fort…

 

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