Putain d’boulon !

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Sabre Maizieres

Ou, c’est con les dominos…

Comme quoi un battement d’aile d’un papillon au Japon peut déclencher une tornade en Amérique…

Quand Esther Glennfield, membre des Forces Aériennes des USA reçu son agrément pour devenir astronaute, elle ignorait qu’elle n’aurait jamais dû aimer la mécanique en bricolant son vélo avec son père au fond de leur garage dans l’Ohio…

Le décollage s’était bien passé. Il n’était pas question d’aller sur la lune, mais d’un séjour au sein de la Station Orbitale Internationale. L’entraînement avait été complet. Au-delà de la condition physique, elle avait été formée à effectuer toutes réparations dans et hors du bâtiment. Et c’est la charnière d’un panneau solaire qui merdait, mauvaise réaction au froid intersidéral. Bon, cela met l’intervention mécanique à un coût exorbitant. Mais sans paroi photovoltaïque, pas d’énergie, et si pas d’électricité, cela risque d’être un beau bordel pour faire tourner le « bouzin » stellaire. Alibi de la science mondiale pour apprendre encore ce qui se cache derrière l’horizon de notre galaxie…

À peine arrivée, le passager tchétchène, autre cosmonaute bénéficiant de la participation internationale, et là depuis déjà trois mois, la reçut en lui signifiant en termes choisis : « Chouette une nana, c’est juste ce qui manquait à la boutique ! ». Il l’a dit dans sa langue, mêlée d’argot de sa province, ce qui n’a pas vexé Esther, qui lui répondit d’un grand sourire : « Hello Guy ! How are you ? » vu qu’elle n’avait rien comprit… Puis, une fois ses bagages déchargés, elle s’enquit de sa tâche selon les procédures établies. La réparation extérieure était prévue pour le lendemain.

Son colocataire se fit un peu lourd le soir en insistant pour partager sa gnôle locale. Esther, qui ne buvait jamais d’alcool, fit de remarquables progrès en dialecte tchétchène et interpréta enfin toutes les nuances du langage fleuri de cet hôte obligé. Mais la nuit fut de courte durée.

Esther enfila sa combinaison prévue pour bricoler sous la station. Là, pas de pont élévateur, la voiture était en suspension dans l’espace. Pas besoin de fosse pour passer dessous, d’ailleurs où était la partie inférieure ? La question n’avait pas de réponse, parce que l’environnement n’avait pas de dessus !?!

Vlouf ! La porte du sas s’ouvre, et reliée à sa « ligne de vie », Esther, d’une timide poussée se propulsa dans le vide. Le panneau était assez loin, sa progression était lente, mais assurée. Ça y est ! Elle est à pied d’œuvre. Tout ça pour une visserie coincée qui empêche le développement complet de la paroi solaire. L’outil adéquat est dans sa main, mais la fixation est récalcitrante. Putain d’boulon !

Bing ! Le bout de métal gelé casse. L’écrou est pris dans la clé, mais le boulon s’échappe… Esther tente de le choper, mais avec des moufles faites pour sortir les gratins du four… Pas facile ! Raté ! La vis entame son vol intersidéral et s’éloigne de la station, muni d’un élan lent, mais continuel…

— Et merde !

Esther n’était pas douée pour les phrases. Heureusement, tout était prévu. Une autre attache était disponible dans sa panoplie. Et la réparation fut terminée dans l’heure. Le panneau se déploya et la petite ampoule verte dans la salle de contrôle sur Terre s’alluma. Son casque bourdonna.

—All right, Esther, it’s OK !

Son retour dans la station, ainsi que son rapatriement s’ensuivirent en quelques heures.

— J’avais la même panne sur ma machine à laver, mais c’était moins chiant, fut sa sentence de féministe.

Mais, et le boulon, vous allez me dire… Ben le boulon vole. Il flotte toujours avec son élan initial, en minuscule satellite de notre bonne vieille planète… « Vole » n’est pas le mot exact, car il n’y a pas d’air… Il plane, il se promène… Il erre dans le vide, sauf qu’il ne s’éloigne pas de la Terre comme un infime, un insignifiant, un ridicule astronef…

Esther mourut très âgée dans une maison de retraite où sa fille l’avait placée. Le grand hasard de la vie fit que ce fut à la même date que ce putain de boulon entra en collision avec un bout de ferraille. Lui-même émanant d’un très ancien satellite que l’Amérique avait lancé dans les années 80. Engin qui avait lui-même été percuté par une micropoussière de comète…

Que la fatalité est ironique ! Le morceau de métal désorienté par le choc rencontra l’antenne d’un « Télécom » le jour de la mort de la fille d’Esther… Et paf ! Adrienny au téléphone avec son amie et épouse Jennya crut qu’elle avait raccroché, fâchée. Com’ coupée !

Le satellite ? Déséquilibré, il changea sa course pour s’écraser sur un confrère. Et là, c’est le GPS des frères Tobachvy qui s’éteignit avec les espoirs des frangins d’arriver à l’heure au rendez-vous avec leurs potes dissidents pour préparer un acte terroriste. La peur les prit « On est repérés ! ». En fait, tous les GPS de la région tombèrent en panne…

Ce qui fut plus grave, c’est que le satellite GPS éparpilla ses débris, et les conséquences se firent taquines… Un satellite-espion russe, et un américain en firent les frais, vus qu’ils voyageaient ensemble. Les nations réciproques passèrent au niveau supérieur de leurs alertes respectives.

Et quand, les téléviseurs s’éteignirent dans les états européens, à la seconde même de la mort de la petite fille d’Esther. Toujours ce putain de hasard… La « Révolte des Giratoires » se gangréna en guerre civile. Les téléspectateurs, n’ayant plus leurs soirées occupées, se sont dit « On nous manipule ! » Pile le jour où, justement, la télé étant trépassée, on ne les manipulait plus.

De fil en aiguille, de débris en satellite, de malentendus en guérillas, un petit coréen à la coiffure ridicule et rigide envoya un petit missile sur sa très grande voisine sinosusceptible qui lui péta sa gueule illico. Et quand d’autres fragments pulvérisèrent la nouvelle station orbitale, dans l’ignorance de ce qui se passait réellement… Plein de dirigeants visionnaires et protecteurs de leurs nations se firent un délire d’appuyer sur tout ce qui ressemblait à un bouton rouge…

Après un immense fracas… Un silence s’établit durant quelques millénaires…

— Bon ! Ça y est ? Y z’ont fini de me faire chier avec leur boucan en bas ?!?

Dieu, être supérieur, androgyne, asexuel et métis, se resservit un petit Jack Daniels, alluma son havane et s’assit au fond de son nuage pour savourer une taf comme un ouragan et ingérer son nectar en guise de tsunami…

— Et puis d’abord, cette Esther Glennfield, je n’l’aimais pas…

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