Deux jours…

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Sabre Maizieres

Une vieille chanson sur Nostalgie… Fugain chantait : « Sur la route des vacances… C’était sans doute un jour de chance… ». Elle conduisait sa petite voiture sans vraiment savoir où aller… Deux journées de libre, pas de mômes, sa fille était chez son père… Elle n’avait pas connu ça depuis son divorce… Elle quittait ses montagnes et partait vers le Sud… C’est tout ce qui était prévu… La mer… Pour y faire quoi ? Marcher sur la plage lui semblait un but tout à fait louable, si en plus il y avait des vagues… Ce serait le bonheur…

Les Alpes s’enfuyaient derrière elle, la Nationale descendait. Mais partie en fin de matinée, l’appétit de vivre ces deux jours lui ouvrait l’estomac. Elle se décida pour cette petite auberge au bord de la Route Napoléon « Au Bon Manger »… En garant sa voiture sur le parking, elle aperçut les motos !…

« Bonjour ? Je peux manger ?

_ Mais bien sûr madame, asseyez-vous là… J’espère que vos voisins de table ne vous ennuieront pas, ils risquent d’être bruyants… Vous prendrez un apéritif ?

_ Merci, un jus d’orange s’il vous plaît, je conduis », précisa-t-elle comme une excuse…

Une longue tablée regroupant une dizaine de motards se tenait à côté d’elle… Son arrivée ne passa pas inaperçue. Les chevaliers de la route, tous masculins apprécièrent la silhouette de la nouvelle venue… Grande, certes une femme splendide, elle regretta de ne pas avoir mis de jupe… Sans vouloir les « allumer », elle aurait pris plaisir à ce qu’ils la trouvent belle… Évidemment cela ne tarda pas…

« Vous mangez seule ?

_ Oui, merci et je souhaite le rester ! » répondit-elle sèchement.

Ses instincts de défense n’étaient pas en accord avec ses désirs.

Elle avait fait de la bécane… quand elle était jeune. Elle détestait cette phrase « quand elle était… ». Son parcours lui rappelait souvent qu’elle « avait été ». Mais ces deux jours de liberté, la mer, tout ça, ce n’était pas pour avoir été… C’était pour « être » !

Et instantanément, elle s’en voulut d’avoir éconduit ces motards peut-être égrillards, mais, si cela se trouvait, sympas…

À l’instant où son subconscient se remit à sourire à l’idée « d’être », elle leva les yeux et croisa ceux d’un des bikers… Elle les baissa aussitôt… Pour les relever… Et les rebaisser… Il la regardait, elle, et en une fraction de seconde, son ventre se noua… Grand, les cheveux longs, la barbe-trois-jours… Il n’était pas vraiment beau, mais avait du charme…

Elle se plongea dans la lecture du menu… « Heu… Saucisson chaud, pommes vapeur, ça me paraît, simple, mais bien… Heu… »

Il l’avait vu entrer et avait trouvé son allure et sa solitude touchantes… Qui était cette femme ? Pas une représentante, on était samedi… Peut-être une voyageuse, la voiture ne semblait pas crouler sous les bagages… Elle avait de beaux yeux, dommage qu’elle ne soit pas en jupe… Sa prédilection pour les jambes était souvent contrariée par ces modes anti-féminines…

Le repas fut troublant. Leurs regards se cherchaient. Mais quand ils se trouvaient, se fuyaient immédiatement. Seul lui, parfois, voulait se plonger dans l’océan de ses yeux. Il ne sut pas… Elle ignora quand… Mais rapidement, il décida qu’il ne finirait pas la balade avec ses potes, et que, elle, ne verrait pas la mer ce week-end…

L’heure du café scella la séparation des copains…

« T’es sûr alors ? Tu prends une autre route ? 

_ Oui ! J’ai besoin de rouler seul ! À dans la semaine, je vous appelle !

_ Ok Bye ! »

Il rentra dans le restaurant, regarda une dernière fois cette femme qui l’avait touchée au fond de lui, puis se dirigea vers le patron :

« Chuis mort ! Vous auriez une chambre pour passer l’aprèm’ à me reposer ? »

L’aubergiste étonné par cette demande lui tendit une clé :

« C’est la 7 au premier, elle donne derrière, vous n’entendrez pas la route. Vous sortez. L’escalier est sur le côté. Vous montez sur la terrasse. C’est la porte vitrée…

_ La 7 » dit-il en se retournant vers la femme…

« Ça tombe bien, c’est mon chiffre porte-bonheur. »

Il fit sauter la clé dans sa main. Elle sursauta. Il sortit, cette fois sans se retourner… Il pariait, il aimait jouer… Allait-elle… ? Avait-elle ressenti qu’il… ?

Elle but son café… Il n’osait penser qu’elle avait bien compris ce que ce motard pensait… Elle n’osait penser qu’elle aussi pensait à ce que l’homme pensait… Elle paya son repas, sortit presque brusquement du restaurant et s’empressa vers sa voiture. La moto était là, seule, sur ce parking… Elle ouvrit sa portière. Se rua à l’intérieur, et la verrouilla.

« Je suis folle… De quoi j’ai peur ? »

Elle enfonça la clé dans le contact et resta ainsi. La main. La terre. L’univers. Suspendus un temps infini… Jamais. Jamais elle n’avait fait ça. Comme ça. Par désir. Elle savait. Elle savait qu’elle allait. Le faire. L’envie. L’éducation. Le Bien. Le Mal… Elle était perdue… Mais…

Avant qu’elle ne s’en aperçût elle-même… Elle était perdue… Mais…

Sa porte de voiture claqua derrière elle. Elle se réveilla… Elle était perdue… Mais…

Elle allait… se retrouver… Le retrouver… Lui !

La mer, ce sera pour une autre fois… Mais la tempête viendra peut-être… Qui sait ?!?

Deux jours…

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