Sade (2ème partie et fin)

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Sabre Maizieres

Le taxi était là. Elle avait le même taxi qu’Aliagas. Le chauffeur lui avait fait quelques aveux sur ses habitués. Un autre grec, c’est peut-être un signe…

—Hamza… Bonsoir…

—Bonsoir madameu

—J’aime votre accent Hamza. Je peux vous poser une question ?

—Bien sûr Madameu, tout ce qui vous volez.

—Il est comment Nikos ?

—Madameu, c’est ma fierté de vou avoir dit mes clients. Mais c’est commeu ami, je parle pas sur eux.

—Mais juste un mot, il est sympa ?

—Commeu tous, madameu. Mais même si on meu demande. Je dirai jamais queu la plou belle c’est vous.

— Si c’est ça, vous pouvez le dire Hamza. Vous êtes le plus gentil des hommes.

— Ci commeu ça madameu.

Le trajet fut impeccable tant par le timing, une vraie horloge ferroviaire ce Hamza, que par les rues, il les connaissait toutes. Il évitait les grands axes, trop perturbés un samedi soir.

— Dix neuve heures quinze, madameu. Le temps de rentrer dans li restaurant vous serez pile à — l’hore.

— Merci Hamza. Comme d’habitude ?

— Pas di soucis madameu, factire par mail. 

La soirée était délicieuse. Le temps sera frais tout à l’heure, et ce sera encore meilleur. La façade discrète du Clarence était devant elle.

Elle entra.

— Bonsoir. Le salon de M. Andros s’il vous plaît…

— Si vous voulez bien me suivre…

Le maître d’hôtel la précéda dans l’escalier, comme il se doit… Un couloir, et une porte s’ouvrit devant elle…

— Le salon Andros Madame. 

Personne ne l’attendait. Le salon était vide. Ce mufle n’était même pas à l’heure !

— Si vous voulez bien patienter, Madame…

On lui tira sa chaise, et sans qu’elle ne la demande, le maître d’hôtel lui servit une coupe de champagne rosé.

— À tout à l’heure, Madame…

Et il sortit.

Le silence… Non, pas tout à fait, une très légère musique classique semblant irréelle était là depuis le début, mais elle n’en prenait conscience que maintenant. Il faisait jour et les arbres, par la fenêtre, étaient immobiles. On n’entendait pas la rue. Juste… Brahms, elle aurait dit…

— Vous aimez Brahms ?

La question venait de la porte, dans son dos.

Elle ne voulut pas se retourner. La voix… La voix était différente de ce qu’elle imaginait, ou espérait. Claire, avec force, mais pas forte… Elle répondit :

— Ici, oui…

J’espérais.

— Que j’aime Brahms ?

Oui.

Cette voix la dérangeait, comme la photo, sur son ordi… Inattendue.

Puis-je me joindre à vous ?

— C’est-à-dire…

En se retournant, elle comprit aussitôt pourquoi cette voix la perturbait. Non en fait, elle ne la dérangeait pas, mais elle n’était pas celle qu’elle espérait.

— … que j’attends quelqu’un !

Une femme était là. Grande, blonde, très féminine malgré des chaussures plates, et un jean, bien coupé, mais un jean…

— Puis-je vous demander qui vous attendez ?

— Un dénommé Andros…

Peut-être que le « s » ne se prononce pas…

— Andro ?

— Oui, comme Andro… Maque, la guerrière !

Si un sourire enjoliva le visage de l’arrivante, la surprise sautait aux joues de l’invitée.

— Vous êtes…

Une femme. Androgyne ? Non !

— J’ai droit à une explication ?

Vous voulez tout savoir ? Vous êtes sûre ?

— Sinon je m’en vais !

D’accord ! Mais faites-moi l’ultime grâce de ne partir qu’après le repas. Sade n’est pas important, il peut se passer de nous.

— Il faudrait que j’aie envie de rester… Parlez !

Je suis une hackeuse, et j’aime me promener sur les sites de rencontres par curiosité dirons-nous, peut-être par voyeurisme aussi. Non seulement je peux entrer sans carton d’invitation, mais je peux atteindre tous les dials échangés. Votre silhouette dans un jardin anglais fleuri m’a interpellé. Et je vous ai suivie. En plus d’être une horrible indiscrète douée en informatique, j’ai fait un master de psychologie qui me permet de lire entre les lignes…

— Vous êtes gonflée quand même !

Vous m’avez dit vouloir tout savoir… Et je vous rassure, si j’ai un peu d’éthique, je ne dépasse jamais les frontières du « civil ». Je ne connais ni votre nom ni votre adresse, à peine votre mail que vous avez postée sur le site, mais jamais je ne l’utiliserai… Vous êtes très belle.

Elle allait sortir de ses gonds, mais le dernier aveu lui fit perdre ses moyens.

— Là… n’est pas la question !… Je vais porter plainte contre vous !

Vous pouvez. Vous ne serez pas la première. Si je porte un jean, c’est à cause de la… gourmette.

Elle souleva sa jambe en tirant sur son pantalon. Un bracelet électronique apparut.

Peine pas grave, et allégée, je n’ai juste pas le droit de sortir trop loin. C’est bon pour vous ?

— Quoi, c’est bon pour moi ?

Vous habitez dans le département…

— Hé bien non ! Voilà…

Si vous me dénoncez, je suis récidiviste et je serai réellement incarcérée…

— Mais vous êtes à enfermer !

Peut-être, mais vous êtes la seule à pouvoir le faire.

— Comment cela ?

Si je me promène au milieu de la misère sexuelle de mes compatriotes, c’est par lassitude… Jusqu’à votre jardin anglais…

— C’est-à-dire ?

Jamais je n’ai rencontré d’autres internautes. Je ne fais que lire, rire ou même pleurer. Je m’ennuie. Comme un surdoué en Maternelle. J’ai un travail trop facile. Celui d’une journée ne me prend qu’une heure, alors je me balade. Virtuellement. Vous n’avez pas idée des malheurs que peuvent cacher ces sites. Le pire, c’est celui qui s’appelle « ’SugarPapys », des jeunes filles qui espèrent que des vieux pourvoient à leur destin…

— Là n’est pas la question, je connais et je désapprouve aussi… Revenons à notre sujet…

Le jardin anglais ? Oui, une simple photo…

— Tiens ! En parlant de photo… La vôtre, quelle hypocrisie !

Pas du tout, c’est la mienne. Vous ne maîtrisez pas ces programmes qui vieillissent, rajeunissent ou vous changent de sexe, vous mettent une barbe, des moustaches…

— Si ! Bof…

Et bien, c’est moi, en homme…

C’était ça qui l’interpellait sur la photo, ce côté féminin, presque indiscernable…

— N’empêche ! C’est un mensonge, vous m’avez menti !

Si peu. Moins que tous ceux qui vous postent leurs invitations et qui sont mariés pour la plupart.

Comment le savez-vous si vous ne dépassez pas les limites du site ?

Simple ! Relisez leurs dials. En les imaginant maqués, et vous verrez que cela vous sautera aux yeux. Les téléphones, où il ne faut pas appeler avant une certaine heure, ou au travail, jamais le soir… Ils vous demandent de plutôt les contacter sur leurs mails perso. Les rendez-vous proposés, toujours à proximité d’hôtels… Cherchez, vous vérifierez… Vous êtes belle, et, ce n’est pas une critique, vous êtes vachement naïve… Vous me faites penser à une fleur trop jolie qui pousse trop près d’un chemin, trop fréquenté. Vous voudriez être cueillie, mais vous allez être piétinée.

Elle ne sut quoi répondre…

— Puis-je me joindre à vous ?

Sans attendre son accord, elle s’assit et se servit une coupe de champagne.

— On trinque ?

— Pourquoi pas… 

Elle était un peu assommée par tant de franchise. Cette femme, ce jean et ce top léger en soie sous son petit perfecto très féminin.

— Bon, vous êtes jolie vous aussi, mais nous ne sommes pas assorties. Lui dit-elle avec un sourire.

— Qu’avez-vous fait pour récolter un bracelet plus gros qu’une chaîne de cheville ?

— Presque rien, entrer dans un endroit où je ne devais pas.

Mais je croyais que les hackers étaient tous enrôlés dans les Services Spéciaux en échange de leurs talents.

Dans les films oui. Dans la vie, c’est plutôt jugement, condamnations, et sursis pour moi.

— Mais vous avez les moyens d’être ici ?

Le droit légal ? Ou l’argent ?

— Les deux.

Le droit, Yes. Pour l’argent, ne vous en faites pas, j’effacerai la transaction de leur compta ce soir.

Ah ça non ! Allons manger ailleurs… Partons… Je paierai le champagne.

— Comme vous voulez… La Brasserie Victory à côté… Vous avez les moyens de m’y inviter ?

— Bien sûr !

— Allons-y ! 

La sortie du restaurant ne fut pas aisée. L’annonce d’un appel important de dernière minute leur servit d’excuses, le champagne n’était pas donné, et c’est à regret qu’elle n’eut pas envie de laisser un pourboire. La soirée débutait mal.

Le Victory n’avait sûrement rien à voir avec son voisin, mais était très convenable. Elle eut l’impression de n’être plus raccord avec le cadre. Le perfecto passait mieux.

Andros lui expliqua alors que le… Jardin anglais était devenu la majeure partie de son temps perdu. Elle la décodait, craignant même de lire les réactions masculines, et s’empourprait de joie quand elle les envoyait au diable.

— Bref ! Je crois que je me suis mise à vous aimer. Sans vous connaître. J’ai aimé ce que vous écriviez, j’ai aimé ce que vous leur répondiez, j’ai aimé ce que vous cachiez…

— Et je cachais quoi ?

— Votre chagrin. Il se sent surtout dans les éconduits. Celui qui veut lire au-delà des mots le voit. — Je ne connais pas la raison, mais vous avez aimé, c’est certain, fort. Et vous l’aimez encore. À cela, aucun ne le remplacera. Tant que vous ne le déciderez pas. Il est parti ?

— Oui !

— Il vous a abandonnée ?

— Oui !

— Un salaud ?

— Non, il est mort dans un accident…

— Ah merde ! Y’a longtemps ?

— Deux ans… 

Elle se mit à pleurer. Doucement, sans hoquet. Une vraie tristesse qui sortait d’elle.

— Vous voulez que je parte ?

— Non restez. Je suis désolée…

— Pleurez, vous pisserez moins… »

Elle leva son visage et devant le sourire de la blonde, elle hoqueta un rire contenu : « Ce n’est pas drôle »

La « cuir » se glissa sur la banquette, s’approcha de la « tailleur »… Elle la prit contre elle… La laissa pleurer sur son épaule. Les minutes passèrent… Les sanglots s’atténuèrent. La cuir saisit le menton de la tailleur… Et posa un baiser très tendre sur ses lèvres…

— Vous venez ? Sade nous attend…

Elles se levèrent et partirent…

— Tu as payé ?

— Non, j’ai oublié une carte bleue sur la table…

— Tu ne vas pas la récupérer ?

— Ce n’est pas la mienne !

Leur premier rire les unit…

La cuir prit la main de la tailleur, et elles s’enfuirent vers Sade…

L’expo n’était pas ce qui les intéressait le plus. Elles déambulaient d’une œuvre à l’autre, d’un manuscrit à un panneau, d’un tableau à… Peu de visiteurs, peut-être une vingtaine qui s’éparpillait dans les salles. Quand les doigts de Cuir cherchait ceux de Tailleur, Tailleur ne pouvait s’empêcher de regarder autour d’elle… Mais acceptait volontiers cette nouvelle chaleur de la paume, qui lui montait dans le bras, dans la tête. Lorsque Cuir bouscula Tailleur dans un angle entre deux couloirs, Tailleur laissa les lèvres de cuir lui voler un smack, mais vite repoussées, on ne sait jamais, « si on nous voyait’ »…

Ce furent dans les Toilettes qu’elles échangèrent leur premier baiser. Les mains de Tailleur se posèrent sur les hanches de cuir… Celles de Cuir prenaient le visage de Tailleur… Puis elles se regardèrent, les yeux de l’une dans ceux de l’autre. Tailleur caressa la chevelure courte de Cuir, presque une brosse…

— J’aime bien tes cheveux…

— J’aime bien… toi…

Les bouches se recherchaient. Tailleur freinait son abandon. Quand une menotte de Cuir s’évada de son minois sur sa nuque, puis vers le côté de son sein… Tailleur l’arrêta.

— Pas ici !

— Si !

— Non !

— Où ?

— Pas ici…

— Viens !

Cuir entraîna tailleur dehors et héla un taxi en maraude qui les ignora majestueusement d’un seul doigt…

— Attends, j’en connais un…

Hamza arriva en dix minutes.

— Bonsoir Hamza. Chez moi, je vous prie.

Elle avait besoin de se réfugier… Elle pensait « refuge », mais son esprit savait » cachette ». Elle se sentait en danger. Danger de laisser franchir l’en… amie ses derniers remparts, son ultime barrière… Mais elle avait envie de l’assaut.

Les doigts de Cuir cherchaient la brèche. Hamza maîtrisait ce qu’il avait à faire. Ne pas les bousculer, mais les ramener. Vite… Sans qu’elles regardent la route, leurs premières caresses… Hamza se tairait…

Et chez elle… Leur première nuit… Cuir aima le… rose.

Pour un jour, une nuit, une semaine… Qui sait, peut-être quelques mois…

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