Willy n’en fait qu’à sa tête

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Sabre Maizieres

—C’est une vraie ?

—Bien sûr !

—Je peux tirer ?

—Doucement… Aïe ! Hé, tu fais mal !

—Elle est bien collée !

—Elle n’est pas collée, c’est une vraie, je te dis !

—Donc, t’es un faux ! Je ne suis pas un faux, je le représente, il ne peut pas être partout et à la fois et préparer les cadeaux…

C’est toujours ce petit vieux du quartier qui se grime en Père Noël, tous les ans pour les grands magasins Dieschly, le centre commercial du bourg.

À la retraite, les quelques émoluments de la prestation égayent ses fêtes de fin d’années, et les rendent un peu plus festives.

Le gamin ! Lui, c’est sa première année dans la région. Sa mère a trouvé une opportunité d’embauche dans le même vaste magasin de cette région de l’Est de la France. Elle avait quitté son Sud pour fuir un compagnon violent qui purgeait une peine de 2 ans pour « violences à l’encontre de sa femme et de son enfant ». Sans famille proche, et pas mariée, elle espère se « refaire la cerise » en ces terres réputées froides de climat, mais chaudes du cœur des habitants.

Les vacances de Noël débutent, et Willy, diminutif de William, a démarré son année scolaire en CP sur de bonnes bases. Sa vie un peu dure lui a déjà forgé un esprit frondeur et dégourdi.

La maman n’imagine pas que son petit diable a jeté son dévolu sur le gros bonhomme rouge, vedette des Fêtes.

Quand la star des enfants a un moment de répit, entre deux bébés braillards, les photos de portables et autres selfies, il entame la conversation avec le vieillard.

—Tu le connais ?

—Qui ?

—Ben lui, le vrai ?

—Oui bien sûr ! C’est lui qui m’a demandé de le remplacer ici…

—Ben, j’te crois même pas !

—Et toi, t’as été sage pour avoir des cadeaux de Noël ?

—C’est pô drôle d’être sage ! C’est plus rigolo d’faire des bêtises !

—Oui, mais pas sage, pas de cadeaux !

—Et pas d’bras, pas d’chocolat ? M’en fous d’abord ! L’Père Noël, il a pas c’que j’veux dans son magasin.

—Et tu veux quoi alors ?

—Ben, j’te dirai pas, na !

Le vieillard s’amuse avec ce gamin espiègle. Gentil, attentif à ne pas déranger si des « clients » viennent à la rencontre de l’homme en rouge, les sourires deviennent complices.

La mère recommande à tour de bras à William de « ne pas déranger… »

—Je dérange pas maman, je négocie…

—Tu négocies quoi ?

—J’te dirai pas.

—Bon, ben, ne fous pas le boxon !

—Non maman, cool…

Et l’enfant se fond dans la masse des chalands aux yeux étoilés de saumon, de foie gras, de bûches et de chocolat de toutes sortes. Il regarde les autres mioches qui tentent de convaincre leurs parentés que cette « Barbie », ce « Lego » ou ce drone sont « pile ce qu’ils ont toujours voulu de toutes leurs petites vies ! ».

Lui. Les « Lego », les voitures, ce n’est pas son truc. Son père se faisait un malin plaisir de lui casser, jeter ou détruire tout ce qu’il aime. Mais il paraît que les gendarmes l’ont emmené loin, et que peut-être il ne le reverrait pas. Du moins, c’est ce que sa mère lui avait raconté… Mais, lui, a compris que…

Il s’en moque, l’individu qu’il avait appris à appeler « papa » est un mauvais homme, qui ne l’aime pas, donc son départ ne l’a aucunement affecté. La vie est plus cool depuis. Sa mère semble heureuse, et ça lui va.

—Tu fais quoi quand t’es pas en rouge ?

—Rien, je suis à la retraite. Je ne suis plus très jeune maintenant.

—Tu faisais quoi avant d’être vieux ?

—J’étais ébéniste, tu sais ce que c’est ?

—Non ?!?

—Un ébéniste, c’est quelqu’un qui travaille le bois.

—Comme les bûcherons ?

—Les bûcherons abattent les arbres.

—Idéfix, il aime pas ça !

—Les menuisiers utilisent le bois et les ébénistes en font de jolis meubles.

—Et ton fils y fait quoi ?

—Je n’ai pas d’enfant.

—Pourquoi ?

—Je ne sais pas…

—Parce que t’as pas été sage ?

—Tu as peut-être raison ! Ou peut-être trop sage…

—Tu vois, c’est mieux d’être pas sage !

Le gamin part le soir… et revient le matin.

—Bonjour, Monsieur.

—Appelle-moi Père Noël.

—Non ! Puisque c’est pô toi.

—Tu n’as pas tes parents qui te cherchent ?

—Ma maman travaille ici, et mon père est en prison.

—En prison ? Les yeux du vieux s’arrondissent.

—Oui, il nous tapait. Maman m’a dit que les gendarmes l’avaient emmené loin, mais je sais où il est. —Il est en prison.

—Oh… Pauvre !

Le vieil homme a vécu seul, marié à 20 ans, veuf à 50. Ils n’ont pas pu avoir d’enfants. Et depuis son veuvage, il s’est habitué à cette solitude. Quelques copains de bistrot pour le café du matin, la boulangère lui sourit quand il achète sa demi-baguette… Sa petite vie lui allait.

Le troisième jour, il se surprend à attendre le gosse… Mais sa mère est de repos.

—Salut l’Ancien !

—Hé, ho ! Comment tu me parles ? T’as quel âge d’abord ?

—6 ans, bientôt 7. Un « ancien », c’est le chef de la tribu, c’est pas un gros mot.

—Moui, t’as raison après tout. Alors tu ne veux toujours pas me dire ce que tu as commandé au Papa Noël, au vrai ?

—C’est un secret. Même ma mère elle sait pas. Tu fais quoi quand t’es pas en rouge ?

—Je t’ai dit hier… Rien

—Et à Noël, tu travailles ?

—Non j’arrête le 24.

—Tu veux venir manger chez nous ?

—Je ne sais pas »

C’est bizarre cette question. Il ne se souvient même plus quand il l’a entendu pour la dernière fois. Sûrement avant le décès de sa femme.

—Ta mère m’invite ?

—Heu, oui elle t’invite.

—Et c’est où chez toi ?

—Pas loin, je te dirai demain. Je pars parce que le chef de ma maman veut plus que je traîne ici. Mais je m’en fous, je sais qui c’est, il ne me verra plus.

L’effronterie de ce mioche arrache un vrai sourire au figurant des fêtes. Ils échangent un signe en s’éloignant l’un de l’autre.

—Dis maman, on fait quoi pour Noël ?

—Le 24 ou le 25 ?

—Les deux.

—Ben le 24 je travaille pour le Réveillon, donc rien, tu regarderas la télé.

—Je peux me coucher tard ?

—Si tu ne dors pas…

—Et pour Noël ?

—Je ne sais pas. Tu veux qu’on se fasse un bon repas.

—Oh oui ! Je peux inviter quelqu’un ?

—Inviter qui ?

—Le père Noël !

La mère éclata de rire et, ne comprenant pas toute la portée de sa réponse, lui dit « Oui si ça t’amuse. »

Les derniers jours de l’avent s’égrenèrent jusqu’au 24.

—Tiens je t’ai écrit mon adresse.

—D’accord ! J’arrive vers quelle heure ?

—Ben pour manger, à midi. T’es drôle toi !

—Alors OK, j’amène quelque chose ?

—Je sais pas moi. Tu viens, c’est tout.

Le repos de la mère, le 25, était inespéré, mais le centre commercial Dieschly est une affaire familiale et… la famille passe avant les profits. Le 25, c’est pour se réunir en famille, dit le Patriarche Dieschly.

—Maman, pourquoi t’as mis que deux assiettes, le Père Noël y mange où ?

—Mais t’étais sérieux là ?

—Ben oui, c’est mon copain qui faisait le Père Noël à ton magasin.

—Le vieux ?

—Mais il est pas très vieux, il est seul…

—T’en louperas pas une toi. Alors, sûr ? Tu l’as invité ?

—Moui !

La sonnette interrompt la discussion. Tandis que la mère va à la porte, Willy se rue à la cuisine pour rajouter un couvert

—Bonjour, Madame, je vous remercie pour votre invitation, je vous ai apporté quelques fleurs.

—Merci c’est gentil. Ya longtemps que l’on ne m’en a pas offert. Pour l’invitation, remerciez William, j’étais à peine au courant.

Le bouquet trouve un vase, les malentendus se dissipent et le repas est drôle et amical. Tous prennent un grand plaisir à faire connaissance.

À la bûche, l’Ancien questionne à William :

—T’as été gâté ce matin, bonhomme ?

—Oui j’ai eu un jeu vidéo pour quand maman travaille, et que je suis seul à la maison.

—Le Père Noël t’a apporté ce que tu désirais alors ?

—Je crois…

Elle demanda à son invité.

—Parce que vous avez réussi à savoir ce qu’il souhaitait, vous ? À moi il n’a rien voulu dire.

—Moi ? Mais pas plus qu’à vous…

La mère interrogea son fils du regard…

—J’avais commandé au Père Noël… Un grand-père ! Et je crois que je l’ai eu.

Les convives éclatent d’un rire un peu gêné, mais qui se dissipe vite pour devenir franc et détendu.

—Alors Monsieur le Père Noël, on vous appelle comment, si vous avez envie de revenir nous voir ?

—Grand-père, comme dit Willy, c’est très bien.

—Grand-père comment ? hurla Willy.

—Ben… Grand-père… Noël.

—Je me nomme Noël Gauthier…

Et le gamin sauta sur ses genoux en criant…

—Mince alors ! T’es un vrai !

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