Fais chier !

Sabre Maizieres

Sabre Maizieres

Avez-vous remarqué qu’une insomnie, ça vous prend souvent le matin. Je dis le matin, pour situer le laps de temps entre minuit et l’aurore… Mais on pourrait dire entre zéro heure et l’horreur. Synonymie et homonymie. Parce que, quand on ne dort pas, on réfléchit ! Et lorsqu’on pense, on s’attarde sur des détails, des mots, des idées. On se tourne et retourne dans le lit. « J’me lève ? Non ! Garde tes yeux fermés, et imagine à quelque chose d’agréable…

— Oui, mais si je songe à quelque chose de sympa ça va me tenir réveillé ?!?

— Faut toujours que t’aies une bonne raison… »

Avez-vous remarqué qu’une insomnie, ça vous prend souvent la noye… Sauf pour les veilleurs de nuit. Et voilà, je me fais rire tout seul, c’est malin.

Bon allez ! J’me lève. J’vais pisser…

… Bon, ça, c’est fait. Il fait noir dans la maison… Et dans ma tête. Quel temps fait-il ? Et me voilà nu, devant la fenêtre, à regarder dehors. Dingue, ça ! Il fait nuit… La route est vide, les voitures sont bien rangées sur le parking. Y’a encore ce lampadaire éteint. Mais que fout l’syndic ?

Font chier !

Samedi y’aura à nouveau une bagnole qui sera volée dans l’indifférence de tout l’immeuble. De toute façon, si y viennent réparer la lampe, y’aura une putain d’racaille qui balancera une caillasse dedans. Pourtant on est bien ici. Quand le regard dépasse la route, il se perd dans le bois d’Comtay. Y’a même des sangliers qui zonent vers les poubelles certaines nuits.

Fait chier !

Pas sommeil ! Tiens ! Voilà le vigile qui passe. J’l’aime pas. Ce con, un soir de bringue, s’est permis de m’alpaguer et de me faire la leçon au moment où je rentrais chez moi. Bon, j’ai fermé ma gueule, y fait vingt centimètres de plus que moi… Et sûrement pas qu’en hauteur, c’est un black ! Et probablement trente kilos de plus. Qu’est-ce qu’on est petit quand on est honteux !

Ça va pas m’refiler la dorme, ça !

En plus je suis seul. Emilie est partie. Y’a un an, pour une bête histoire de cul. Comme je me parle à moi-même, je ne vais pas me raconter l’tableau, je le connais. Enfin, ce qui a été stupide, c’est pas de l’avoir trompée, mais de me faire gauler. Qu’est-ce qu’on est con, quand on bande ! Faut que j’me mette sur la voisine du d’ssus… Son mec lui plante des cornes à tour de bite, j’la consolerai. Je ferme les yeux, je compte jusqu’à dix au rythme de ma respiration lente pour me calmer… Un bruit !

Un chat ! Dans les poubelles…

Et si j’foutais la télé ? Ah non, c’est vrai, y’a le vieux d’à côté qui va me prendre la tête si je le réveille. Vive les cités construites en papier buvard. Faudrait que je me barre d’ici. Soyons réalistes. Je suis au chôm’du. À découvert sur mon CCP. Ma bagnole qui démarre un coup sur deux. J’habite au sixième avec un ascenseur qui marche une semaine sur deux… Ou sur trois, ça dépend si y’a des jours fériés. Je n’ai jamais compris pourquoi d’ailleurs. Donc, les perspectives de pécho une petite maison sympa, même un peu plus loin de la ville, sont… proches du zéro absolu.

Je pourrais chercher du boulot, mais si j’en trouve, je perds mes aides, et je serai obligé de régler mes factures EDF que me paye la Mairie.

Fait chier !

Et puis, qui voudrait d’un taxi… Un taxi… dermiste ? Faut dire que mes parents ont été cons. Écouter un gosse qui, sur le prétexte qu’il aime les animaux, ils le laissent faire empailleur. Quel métier de merde ! Un artisan m’a formé, puis parce qu’il n’y avait plus assez de job, y m’a largué sur le grand, le gigantesque marché d’l’emploi, vingt ans plus tard, alors que je devais reprendre sa boutique. Va chercher un boulot comme ça à quarante piges. Bon, j’fais bien un peu de black.

Non ! Je n’empaillerai pas le vigile.

Qu’est-ce que je suis drôle sur les coups de quatre heures du mat’ !… Mais dans cette banlieue pseudocampagnarde, par connaissance, parfois, un chasseur me refile un gibier à naturaliser. Mais, la dernière fois, cette galère !… Un sanglier. Comment il faut être con pour empailler un « phacochère » ! Déjà, le remonter chez moi, ça a été une grosse tuerie. Dans l’feutré évidemment… Et puis y’a eu l’odeur, et vider les déchets, la nuit aussi. Ce connard de vieux d’à côté a gueulé, sous prétexte que ça puait la mort chez moi… Il n’avait pas tort… Mais plus jamais. Un cochon ou autre chose d’ailleurs. Marre !

Quelle température y fait ? Je sors sur le balcon… À poil. Si le vigile me voit, y va me dénoncer ce con. Fait frais. Y’a l’escargot qui va rentrer dans sa coquille. Ça, ça me fait sourire. Je le regarde. L’est pas gros l’limaçon ! Heureusement, dans tous mes défauts, je ne suis pas alcoolique, je ne me drogue pas, du coup je suis encore efficace. Sexuellement. Mais faut-il que je couche avec autre chose que ma main droite !

Le vigile a fini son tour. Il jette une dernière vision sur les immeubles autour du parking. Je cesse de respirer. Mon immobilisme me sauve. Dans le noir, son regard balaie la façade sans s’arrêter sur moi.

J’ai envie de pisser. Le froid sûrement.

Non ! Fais pas ça !

Avant de me l’interdire, j’avance mon ventre et me voilà urinant sur la bagnole du con du dessous. Quand il partira au boulot tout à l’heure, en chauffant, son capot aura une drôle d’odeur. Ça aussi, ça me fait sourire. J’évite de me la secouer sur la rambarde métallique. Si elle restait collée ? « Non, y fait pas si froid ! ». Tiens ! J’me suis parlé à haute voix « Non ! Y fait pas si froid ! ». Quelle heure il est ? « Merde, j’ai pas ma montre évidemment ! » Je cause tout seul.

J’ai pas sommeil. Bah ! Je dormirai dans la journée, j’ai rien d’autre à foutre. L’immeuble n’est pas trop bruyant en semaine. Et comme y’a pas que de chômeurs, quand « ils » sont partis au travail…

Faudrait que je prenne une douche. Et j’inviterai la cocue à boire le café. Il est con, elle est encore baisable. « Merde ! Impératif que j’range l’appart’ ! ». Pour ça y’a au moins deux jours de boulot. Je prendrai une douche après, on n’est pas à une semaine près.

Qu’est-ce que j’ai à faire aujourd’hui ? Acheter du pain ? Faut aller au village, à un petit kil… Et merde, je boufferai sans pain. Faudrait que je m’habille. « J’vais pas passer la journée à poil sur le balcon, quand même ! » Et si j’me soûlais…

Fais chier !

Faudrait aller piquer du whisky à la supérette. Pareil ! J’ai que du Martini. Une cuite au Martini. Ridicule !

« T’aurais pas sommeil des fois ? »… Ben non…

J’ai ben des réponses sur mon profil sur le site de rencontres, mais comme le prélèvement a été refusé, chuis bloqué, je ne peux plus y accéder. Y’a pas ! Faudrait que je tire la voisine, ça me détendrait, et si ça s’trouve, à elle aussi, ça lui ferait du bien. J’suis sûr que ce con lui fout sur la gueule. Mouais, du coup elle va pas craquer facilement, si elle a peur d’en prendre une. Et son mec, pareil que le black, on boxe pas dans la même catégorie. Si c’est pour m’en ramasser une sur le coin de la mouille !

Fais chier !

Une douce lueur vient infiniment lentement derrière le bois. Le soleil ? Déjà ? Ah non, c’est un camion qui balaie de ses phares les grands arbres. Je m’explique que y’a l’autoroute après… Comme si je ne le savais pas.

Fais pas chaud quand même, tout à l’heure je me ferai un Nes »…

« Oui, Monsieur de la Police, en sortant ce matin pour aller au travail, je l’ai trouvé comme ça. Sur le capot de ma voiture. Tout nu en plus. Le capot défoncé, le pare-brise éclaté… Elle est foutue ma caisse ! Comment que je vais aller travailler ce matin, M’sieur de la Police ?!? Merde ! Fais chier ! »

Pendant ce temps là, le téléphone se mit à sonner dans l’appartement vide. Emilie l’appelle. Elle vient d’hériter d’un oncle fortuné, et comme ce con a été le seul homme de sa vie, elle veut bien lui redonner une chance…

« Y décroche pas ! Pourtant j’ai attendu, je ne voulais pas le réveiller trop tôt. Y fait chier à dormir tard… »

 

image page histoires, carnet ouvert avec un stylo
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