La porte ouverte

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Sabre Maizieres

Tous les matins, c’était immuable. Réveil, petit déjeuner, douche, habits, et la porte claquait derrière lui. Il partait au travail…

Et, comme tous les jours, son arrêt de bus était de l’autre côté d’un petit lotissement aux maisons similaires. Il le traversait, le nez dans son col, le regard sur ses pieds, et l’esprit déjà pris dans ses dossiers. Célibataire, seul, entre son domicile et son boulot, peu de distractions l’écartaient de son chemin.

Alors pourquoi remarqua-t-il, ce matin-là ? La porte ouverte… Une maison, pas différente de ses voisines, même façade, mêmes volets, presque même haie devant… Mais l’entrée était ouverte… Il ne ralentit pas son pas, et vite oublia ce détail…

Cependant, le lendemain, avant d’arriver à la petite villa, sa mémoire l’alerta pour qu’il lève ses yeux vers… la porte… ouverte. Il freina légèrement sa foulée, juste pour entendre une voix douce chantonner. Le dossier Chalandon le rappela à son labeur. Il fallait que l’affaire soit bouclée aujourd’hui.

Le soir ? Le bus empruntait sa rue, une histoire de sens unique, mais en rentrant, il se demanda si la porte restait toute la journée ouverte. La nuit passée, il se bouscula pour gagner cinq minutes sur son timing… La porte était ouverte, la voix chantonnait… Et lui, demeura là, cinq minutes à l’écouter, bêtement, sur le trottoir d’en face. La porte entr’ouverte ne laissait rien apercevoir de l’intérieur, seule la mélodie franchissait le pas de porte d’une brise légère…

Son bus ! Il finit son parcours en courant… Mais au moment de partir, il eut juste le temps d’entendre :

— Le café est servi  !

Et il s’imagina la vie de cette petite villa. Une femme, la voix, préparait le petit-déjeuner de la maisonnée. Sûrement, un homme attendait son « caoua ». Peut-être pas d’enfant, sinon, elle aurait annoncé : « Le petit-déj’ est prêt ». Et le week-end ? La porte était-elle ouverte aussi ? Et pourquoi était-elle toujours entrebâillée ?

Allez ! Il bouscule son réveil, saute son propre jus… Il a vingt minutes avant le bus !

La porte est… La voix, présente… Mais ce matin, à peine cinq minutes qu’il est là…

— Le café est servi !

Elle est également en avance. Lotissement à l’américaine, pas de portail, pas de sonnette à la haie. Sans vraiment savoir pourquoi, il traversa la rue et posa sa main sur la boîte aux lettres. Il ne pensa même pas à regarder le nom, tant ses yeux cherchaient pour qui le breuvage était prêt. La porte ne dévoilait qu’une entrée modeste, un porte-manteau avec quelques affaires qui lui semblèrent féminines.

Son indiscrétion lui sauta à la gorge, la honte lui fit attraper le bus précédent et il se trouva tout bêtement en avance au boulot. Ce qui ne l’empêcha pas de laisser son réveil à cette heure inchangée, trop matinale, de gloupser son petit noir à l’arrache, et d’être là, devant… Juste au moment où la voix s’arrêta de « méloper » pour annoncer que le café était servi… Il ne réalisait pas vraiment ses gestes. Avant même de comprendre, il poussait lentement la porte en appelant, pas trop fort :

— Ya quelqu’un ?

Son index replié peinait à faire trop de bruit en heurtant le huis… Toc ! Toc !

— Il y a quelqu’un ? Houhou…

Personne…

L’entrée, libre, lui laissait apercevoir un petit hall et devant l’accès qui semblait être celui de la cuisine, une belle chatte noire assise le regardait.

— Houhou… Il y a quelqu’un ? La porte était ouverte… Vous avez besoin de quelque chose ?

Personne ne répondait. Plus de voix. Juste un arôme de café chaud…

Il n’alla pas plus loin, et reprit le cours de sa vie… Monotone…

Il se levait toujours plus tôt, mais c’était pour éviter le lotissement. Le détour rallongeait son trajet, mais il préférait cela à cette curiosité qui ne le quittait plus. Cette porte ouverte était décidément trop perturbante.

Et c’est sans le vouloir vraiment qu’un matin, quelques semaines plus tard… Il était là. Il n’aurait pas pu dire ce que la voix chantonnait. Quel air ? Quelle chanson ? Était-ce toujours la même, ou une différente chaque jour ?

Quand il poussa le battant, la chatte était présente. Il avait frappé, mais n’avait pas appelé. L’animal vint vers lui et se frotta dans ses jambes. Il avança jusqu’à la cuisine, précédé par le félin. Le café était sur le comptoir. Fumant, odorant. Juste une tasse, sans sucre, comme il l’aimait. Suave, certainement un excellent arabica africain. Il regarda partout en se posant sur la chaise haute face au breuvage. La chatte grimpa sur la table, s’assit en face de lui et l’épia tremper ses lèvres dans ce café délicieux aux arômes de gourmandise chapardée. Il ne pouvait être pour lui. Personne ne fait un café pour lui. Il se le choisissait lui-même, torréfié dans une petite boutique du centre, se le passait lui-même. Toujours, la même essence, le goût fameux, excellent. Celui-ci était différent, presque meilleur encore.

La tasse vide, il se leva, et sortit à reculons, avec, d’une voix sourde :

— Merci pour le café…

Et il attrapa son bus juste à temps.

Il était presque déjà gourmand du lendemain. Un nouveau rituel dans sa vie. Ce n’était plus vingt, mais trente minutes qu’il gagna… Et pourtant, dès son arrivée, même plus tôt donc, la chanson laissait place à l’annonce. Il entrait toujours avec hésitation :

— Bonjour ?!?

La chatte le conduisait à la cuisine. Sautait sur le comptoir et ronronnait sous ses caresses. Au fil des jours, l’animal poussait de son nez le menton du passant, mettait sa tête dans son cou et se couchait pour se faire gratouiller le ventre. Les minutes s’écoulaient en silence. Le café était suave, et la féline tellement douce… Sa petite truffe fraîche sur sa joue, au coin de sa bouche… Il ne connaissait pas son nom, et l’appelait Minette.

La maison était toujours ouverte, mais vide. Il n’avait jamais été plus avant que le tabouret de la cuisine. Il n’aurait pas osé. Un matin, au moment de s’éloigner, il entendit, après son départ, la voix reprendre la mélopée chatoyante interrompue à son arrivée. Pourquoi cette femme lui préparait-elle un café, excellent, et se cachait-elle quand il venait le boire ?

Sur le porte-manteau, pas de vêtements masculins. Une pèlerine rouge, une écharpe noire, et quelques vestes… Un blouson de cuir aussi, presque provoquant… Quelques chaussures, avec de jolis talons… Un sac à main qu’il ne regardait pas, de crainte de, sans le vouloir, violer une intimité. Et les semaines s’écoulèrent… Il aimait cette chatte câline, mais il ne s’autorisait pas à passer les week-ends, juste les cinq jours de son trajet professionnel. Il se priva même de quelques vacances pour ne pas rater ses rendez-vous avec cette mimine. Elle ne miaulait qu’à deux reprises, quand il arrivait, et quand il partait. Le reste du temps, elle ronronnait contre lui. Et c’est à elle qu’il s’adressait avec son « bonjour » et son « au revoir »…

Les matins redevinrent routiniers, avec cette nouvelle coutume. Il se sentait parfois idiot de boire un café avec un animal, mais il était heureux. Et la chatte aussi semble-t-il…

Un jeudi bête. Son bus du soir… Avec quelques secondes d’avance sur son horaire. Ça circulait bien, ce jour-là. Il eut peur de le louper… Il aurait pu prendre le suivant, personne ne l’attendait chez lui. Il courut pour l’attraper. Son pied buta. Et sa tête heurta le socle en béton du panneau de l’arrêt…

Le vendredi, le café refroidit seul… Et cinq minutes après, la chatte, d’un coup d’arrière-train… ou de hanches… Cela dépend comment vous l’imaginez… referma la porte…

Elle aimait bien ce chaland… Ses caresses dans ses poils, ses baisers dans sa fourrure…

FIN

Surréalisme, direz-vous ? Mais la réalité n’est faite que de nos rêves ! Les Colomb, Magellan, et autre Galilée l’ont pensée ronde et… l’ont faite ronde. Faites de vos songes vos vérités, et vous boirez un jour le café avec une chatte !

Les hommes fuient toutes sortes d’engagements.

Mais peut-être est-ce la Vie qui ne leur donne pas toutes les chances. Elle distribue les cartes. Certains ont des atouts plein les mains, d’autres non… Mais un seul a le… Joker !

Hahahahahahahahaha………………………… (rire sardonique). J’aime bien ce mot, y’a que là qu’on peut le mettre.

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