Premier Blanc…

Picture of Sabre Maizieres

Sabre Maizieres

Quand il sortit, il ne comprit pas tout de suite. Pourtant il connaissait les lieux, les paysages, mais il ne les reconnut pas. Que s’était-il passé pendant la nuit ?…

Tout était tout blanc ! Même l’arbre sous lequel il aimait jouer… Les prés, les monts, tout était blanc ! Tout semblait avoir été recouvert d’un grand, d’un gigantesque drap blanc. Comme ceux qui étaient sur les meubles dans la pièce où on n’avait pas le droit d’aller.

Il restait sur le pas de la porte sans vouloir sortir sur le perron. D’habitude, il le dégringolait à toute allure pour aller jouer dans la cour. Mais ce matin… Il hésitait.

« Viens ! » lui dit sa maman. Elle ne sembla pas avoir peur, elle. Alors il descendit précautionneusement la première marche, puis la deuxième. La troisième était à moitié blanche. Et sa maman avait dessiné avec ses pieds des drôles de marques dans ce blanc effrayant. Au début, il posa ses pieds dans les empreintes de sa maman, dans ses pas. Il se sentait bizarre, à la fois apeuré et hérissé… Il ne comprenait pas que, ce qu’il prenait pour de l’énervement, était de l’excitation. Mais sa mère faisait de grandes enjambées, et il lui fallut bien mettre ses petits pieds dans ce tapis entre les foulées maternelles. Il s’enfonça un peu. Et lui aussi faisait des traces. À lui, rien qu’à lui, c’étaient les siennes, et ça ne faisait pas mal. Au contraire, c’était drôle. Quand il fut rassuré, ce machin blanc finalement était rigolo, on marchait et ça faisait des trous, pleins de trous. Il avança en terrain découvert. Parfois, il gardait un pied en l’air, en équilibre précaire. Des morceaux de blanc restaient collés. Il aurait voulu s’en débarrasser en tapant du pied par terre pour que ça se décolle, mais ça collait à l’autre pied aussitôt. Il se résolut à sauter… Ça aussi, c’était drôle !

Il ne lui fallut pas plus de quelques minutes pour transformer son énervement et apprendre une nouvelle sensation, la fameuse excitation. Il se mit à courir, à bondir… Et à glisser… La première fois, le contact froid sur son postérieur raviva sa crainte primordiale, mais cela passa vite. Ça faisait pas mal. Une autre utilisation de ce blanc, ça dérapait aussi. Et son copain qui habitait avec eux, en sortant de la maison, semblait éprouver la même liesse. Lui même sautait, criait et rigolait.

Par contre, il n’aima pas du tout le nouveau jeu de son ami. D’abord, il le vit ramasser du blanc par terre, le comprimer dans ses pattes en forme de balles, et… Mais pourquoi lui lançait-il ces boules sur lui ? Bon, il ne visait pas super bien, mais à force d’en envoyer autour de lui, il finit par lui en décocher une sur lui. Et ça, il n’a pas aimé. Il courut vers sa maman, pendant que l’autre maman sermonnait son petit. Son copain arrêta pour venir vers lui faire la paix.

« OK ! On fait une trêve ! » et plutôt que de se jeter des balles de blanc, il choisit son jeu préféré : Chat ! On se poursuit et le premier qui attrape l’autre, et bien… Il le chasse à son tour. Couplé avec le fameux cache-cache, on y passait des heures. C’était mon ami, et je l’aimais beaucoup. Il était plus grand que moi, et parfois un peu brusque, mais je n’avais pas mon pareil pour le surprendre par-derrière. Je m’approchais sans bruit pour lui crier «  Surprise ! » ou bien « Qui c’est ? » en lui sautant dessus…

Ce matin, le Père Noël nous avait apporté un nouveau jeu. J’étais encore jeune et si c’était mon premier Noël, ce n’était pas le premier de mon copain. Il m’avait fallu un peu de temps pour comprendre pourquoi sa maman avait mis un arbre dans la maison, et sur cet arbre, pleins de bibelots brillants. Des jouets avec lesquels l’on n’avait pas le droit de s’amuser. Pourtant ils étincelaient et m’attiraient bougrement. Mais ma maman m’a dit « On ne touche pas ! ». L’autre matin, il y eut plein de boîtes qui sont apparues. C’étaient des… cadeaux. Pour tout le monde, même pour moi. Ma maman m’expliqua qu’un vieux monsieur tout en vert était venu pendant la nuit pour apporter toutes ces boîtes. J’avais eu un joujou, mais je vous avouerai que j’ai préféré m’amuser avec tous les emballages vides, avec mon copain. Lui avait eu un drôle de nouveau jouet, c’était un… vélo ?!? C’était de la triche, car, avec ce… vélo, il me courait après, plus vite qu’avant…

Ce matin, il n’avait pas droit au vélo dans la cour. Sa maman avait dit « Non ! » Donc, je pouvais filer. Lui glissait plus que moi. J’avais chopé le coup pour ne pas déraper. Je me penchais quand je tournais, et lui, ses pieds patinaient. Soudain…

Un drôle de phénomène se passa… Plein de petits morceaux de blanc se mirent à voler autour de nous. D’abord infimes, cela grossit à vue d’œil. « Ça reneige ! » dirent les mamans. J’essayais de les éviter, impossible, alors du coup, je me suis mis à les attraper, à les choper avec ma bouche pour les manger. On ne les sentait pas ou à peine. Un minuscule éclair de frais sur la langue et pfuit, plus rien. Mon ami faisait pareil. On se promenait le bec ouvert, à celui qui en goberait le plus. C’est probablement lui qui a gagné, il a une plus grande bouche que moi. Ça aussi, c’est de la triche !

Mon copain et sa maman se mirent à s’amuser ensemble… Sans moi… Je ne comprenais pas, j’avais beau m’approcher d’eux, ils me repoussaient : « Fais attention, tu vas finir en boule ! » Ma maman, assise sous le perron les regardait. J’allai la rejoindre et me blottis contre elle, je les vis faire de gros, très gros ballons, plus gros que moi, aussi gros que mon camarade de jeux. Ils les empilèrent. Une sur l’autre, et une troisième plus petite dessus. Sa mère entra dans la maison, et ressortie avec des trucs bizarres. Un chapeau, du charbon du poêle qui fait chaud, et une… carotte ?!?

C’est quand ils mirent le chapeau tout en haut, la carotte piquée dans la boule et les deux morceaux de charbon au-dessus que j’ai eu peur. Une sorte de nouvel habitant apparut sous mes yeux ! Ce n’était pas une maman ni un facteur. Je le connais bien le facteur, il vient tous les jours. Ma maman m’expliqua que c’était un bonhomme de blanc. Qu’il était gentil parce qu’il ne bougeait pas. Et que, dans quelques temps, il disparaîtrait en devenant de plus en plus petit, mais il ne mangerait pas la carotte… Moi, j’aime bien les carottes… D’ailleurs, mon copain semblait le trouver très rigolo et commençait à jouer avec. Timidement, je le rejoignis et moi aussi, je me suis mis à tourner autour. Mon copain m’attrapa et me posa sur ses épaules. Elles étaient froides et je descendis en faisant tomber le chapeau. Je pensais que le bonhomme de blanc serait fâché, mais non. Je décidais qu’il était très sympa.

Mon camarade se remit à lancer des boules de blanc sur le bonhomme, mais des petites. Moi, comme je savais que, être touché par ces boules étaient désagréable, et que le bonhomme était gentil, j’essayais d’attraper les balles avant que le bonhomme les reçoive. Mais ce n’était pas facile.

Sa maman trouva un autre jeu. Elle sortit de la grange… J’aimais bien me balader dans la grange, c’était immense et il y avait plein de cachettes. Quand on y jouait avec mon copain, je gagnais tout le temps et c’est moi qui faisais « Surprise ! » le plus souvent… Sa maman apporta une sorte de chaise basse. Mon copain s’assit dessus et sa maman le promena dans la cour. Cela ne rata pas, mon ami m’attrapa sous les bras pour m’installer entre ses pattes. Sa maman nous traînait mais elle était maladroite, car dans tous les dérapages nous manquions de basculer d’un côté ou de l’autre. Heureusement, mon copain me tenait, sinon je serais tombé. Je me demande si elle ne le faisait pas exprès ?!?

Cela m’amusa un moment, mais je profitais d’un virage plus brusque, ou même mon camarade chuta pour aller jouer vers mon arbre préféré. Mon copain resta avec sa maman. Ils traversèrent la route. Ils avaient le droit. Moi, ma maman me le défendait. « C’est dangereux ! » me disait-elle. Dangereux ? Je ne savais encore pas ce que ça voulait dire, mais j’écoutais ma maman.

Alors j’allai à mon arbre. C’était mon endroit privilégié. Quand il faisait chaud, j’aimais bien faire ma sieste dessous. Il était bas et solide, je pouvais m’accrocher aux premières ramures et me balancer. Je jouais avec les feuilles et les gros fruits rouges qui étaient dessus. Ce n’était pas comme l’arbre de Noël, celui-là je pouvais m’amuser avec !

Mais là, le blanc était un peu embêtant. Les branches étaient glissantes. Je préférais donner des coups de pied dans les cônes, ça refaisait du blanc qui tombe, que je tentais d’attraper avec la bouche…

« On rentre ! » dit la maman de mon copain en retraversant la route…

« Viens ! » dit ma maman à moi « Tu vas voir, on va faire du lait chaud… » Moi j’aime bien le lait, mais chaud, je ne connaissais pas… Mon copain et moi avons eu un grand bol de lait chaud chacun. C’est drôlement bon. Et moi, ça m’a fait plein de chaud dedans mon bidon. Mon ami, ce devait être pareil, parce qu’il se frottait le ventre en faisant des Mmmmmm tout le temps…

J’aime bien quand on discute tous les deux… Ce jour-là, il m’a dit :

« T’as vu ? On s’est bien amusé tous les deux dans la neige ! Hein Minou ?!? »

Moi, je lui ai répondu : « Miaaouououou-oui… »

Catégories
Archives

Coups de coeur littéraires

error: Ce contenu est protégé!!!